Les Royaux

Chapitre XX- Invitation

Jessy entrouvrit la porte, la suppliant mentalement de ne pas grincer. Les trois autres Corbeaux semblaient dormir profondément, épuisés par le dur entraînement qu'ils avaient subi dans la journée. Le jeune homme, bien que lui aussi éreinté, avait du attendre pendant deux heures avant de pouvoir sortir de sa suite. Il voulait revoir sa sœur et s'assurer qu'elle n'avait rien, mais Ethan le lui ayant interdit, l'adolescent allait devoir parcourir tout le Palais pour découvrir où sa sœur demeurait. Priant de plus belle pour qu'aucun garde ne l'aperçoive, Jessy se glissa hors de sa chambre et traversa tout le secteur réservé aux Corbeaux novices. Il était persuadé que sa sœur ne se trouvait pas là : si Ethan voulait garder sa présence sur Skylar secrète aux Corbeaux, il ne déciderait sans doute pas de la faire habiter dans l'endroit le plus fréquenté de l'enceinte Royale.

Traversant salons, cuisines et bureaux, le jeune Marqué se retrouva bientôt devant deux immenses portes, entièrement recouvertes de dorures et de décorations d'une inimaginable exubérance. Vérifiant rapidement que personne ne se trouvait aux alentours, Jessy poussa légèrement le premier battant, se faufilant sans peine de l'autre côté de l'épais panneau. En se retournant, il sentit à peine ses yeux s'écarquiller et son souffle se couper. Il se trouvait dans ce qui devait sans doute être une salle de bal, de la taille de deux stades de football, la moitié des murs recouverts de miroirs et la totalité des plafonds peints de fresques d'une beauté inconcevable représentant des étapes de ce qui devait être l'Histoire des anges. Le Corbeau perçut vaguement des paires d'ailes d'un rouge écarlate, fané par l'obscurité qui emplissant la salle. Les quelques renseignements fournis par le Combattant le jour de son arrivée au Royaume lui revinrent en mémoire, lui faisant comprendre qu'il observait là une scène de guerre, opposant un Ange Noir, reconnaissable grâce à son tatouage sur la clavicule et un Ange de Sang. Curieusement, alors que le guerrier Royal était identifiable comme étant Aetherios, avec sa couronne dorée autour de son front et sa magie sortant de ses mains, l'Ange de Sang, lui, avait le visage caché dans l'ombre, et seule ses ailes et le nuage noir l'entourant permettait de comprendre quel peuple il représentait.

Avançant doucement, Jessy ne tarda pas à se rendre compte qu'il se trouvait dans une exacte réplique de la Galerie des Glaces de Versailles, en France, mais en beaucoup plus grand. Il ne savait pas si c'était le roi humain qui avait inspiré les anges ou le contraire, mais il se rendait bien compte que tout ce qu'il croyait connaître sur son monde et ses origines ne lui avait été révélé que partiellement. Jessy l'humain connaissait son monde et les coutumes qui le composaient, mais Jessy le Corbeau, l'Ange Noir, devait apprendre à tout voir sous deux facettes différentes : la magique et l'humaine.

Passant devant un miroir, Jessy s'arrêta, observant avec attention l'image qu'il voyait. En s'observant, il tenta de comprendre ce qui avait poussé Gabriel à le choisir pour devenir un Marqué, un de ses précieux Elus, mais le seul mot qui lui venait à l'esprit quand il tentait de se décrire était « paumé ». Orphelin quoi qu'on en dise, incapable de découvrir le but de sa vie, effrayé à l'idée de devoir se retrouver seul pour de bon, éloigné de sa grande sœur... Paumé. Il venait tout juste d'avoir seize ans et pourtant, il avait déjà découvert plus de choses que la plupart des gens dans toute leur vie. Qu'est-ce qui l'empêchait de fuir Skylar, de rejoindre les autorités humaines et de tout leur dire sur les Royaux et leur royaume avant que ceux-ci ne le détruise à travers la Marque ? Pourquoi ne pouvait-il simplement pas prendre la décision de sauver ces centaines de familles qui vivaient dans la peur de voir leurs enfants partir pour ne jamais revenir ? A part Helena, qu'il pourrait emmener avec lui, qu'est-ce qui le retenait à Skylar ?

Certainement pas le pouvoir qu'on ne cessait de lui promettre et qu'il savait pertinemment qu'il n'obtiendrait jamais. Incontestablement pas l'entraînement, destructeur et presque sadique envers les adolescents qui le suivait.