XVI - Ce que nous sommes

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[ Attention !

L'épisode qui suit traite de sujets sensibles en lien avec les violences sexuelles et le syndrome post-traumatique.
Si vous êtes victimes de pareilles situations, s'il vous plaît, n'hésitez jamais à demander de l'aide aux organismes professionnels de votre région. ]

Seizième épisode
« Ce que nous sommes »


Qui suis-je exactement ?

Je crois que si l'on me le demandait je ne saurais pas quoi répondre.

Thyle et Vita se sont endormis depuis un bon moment déjà. Assise à même le sol, je regarde les ombres des morts bouger derrière le carreau sale. Leurs grognements incessants font une trame sonore uniforme dans la nuit qui est tombée depuis un moment. Je me surprends à oser espérer qu'ils auront disparu au matin. J'ai essayé de dormir, mais je n'y arrivais pas. Alors, j'ai décidé de me rasseoir et de guetter l'extérieur attendant patiemment je ne sais quel miracle pour que les monstres décident de s'éloigner.

En boucle, le visage de Thyle me revient avec les mêmes phrases. Il me dit que j'ai peur de montrer qui je suis vraiment. Au début, je n'ai pas su quoi dire, mais maintenant que j'y pense, je ne vois pas pourquoi. Comment pourrais-je cacher ce que je suis alors que je ne le sais même pas moi-même ?

Je l'ignore à un point où ça m'angoisse presque. Demain, je le lui demanderai. Je le lui demanderai à lui, si sage, apparemment, ce que j'ai si peur de montrer.

Qui sait ? Peut-être m'apprendra-t-il qui est réellement Kenna Woods derrière son asociabilité et sa langue de vipère ? Je soupire. Mon regard glisse sur le sol recouvert de poussière. J'y passe mon doigt, y laissant une démarcation. Ennuyée, je laisse mes yeux dériver encore jusque sur mes compagnons de route. Daryl, allongé dos à moi, ne bouge pas d'un poil. Il dort, peut-être.

Sans trop réfléchir, mon doigt s'active dans la poussière. Les traits sont grossiers, de par le manque de précision, mais, bientôt, on remarque rapidement qu'il s'agit d'un homme allongé sur le flanc. Juste au moment où il est possible d'y identifier Daryl, mon modèle bouge.

Prise de panique, je passe ma paume sur le dessin pour le faire disparaître. C'est crétin, je sais. J'ai bien le droit de le dessiner si je m'ennuie dans un espace aussi confiné sans qu'il n'y ait d'interprétation stupide, pourtant, je ne peux m'empêcher de culpabiliser. À ma grande honte, je le vois simplement se retourner sur le dos afin de se dégoter une position plus confortable sur le sol dur, les yeux toujours clos.

Il s'est endormi.

Soulagée, je reprends mon souffle. Je continue de l'observer sans trop m'en apercevoir, les yeux perdus dans le vide.

« Tu veux quelque chose ?

Je déglutis soudain et détourne le regard. La voix rêche qui s'est élevée ne saurait mentir : Daryl ne dort finalement pas. Mal à l'aise, je me mordille la lèvre.

- Nah. J'ai pas fait gaffe.

Je m'allonge sur le sol, comme pour faire mine de vouloir dormir, afin d'interrompre cette presque-discussion si embarrassante. J'appuie ma tête sur le dos de Vita qui lâche un léger grondement dans son sommeil, puis ferme les yeux.

Je ne bouge pas et retiens mon souffle jusqu'à ce que je sente son regard quitter ma silhouette. À cet instant - et seulement à celui-là - je me détends un peu plus. Prenant mes aises sur le dos de mon chien, je passe ma main doucement dans son poil comme j'en avais l'habitude avant d'être accaparée par mon nouveau troupeau d'humains. Je ferme les yeux et agrippe sa fourrure. Elle, je ne la laisserai pas crever.

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