21 - L'union

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Cassian s'éveilla en sursaut, le cœur battant à la chamade. La neige avait raidi ses membres, tant et si bien qu'il peina à s'asseoir. Pendant quelques secondes, il crut avoir cauchemardé, mais l'entaille qui lui brûlait le bras témoignait de la réalité de ses derniers souvenirs. Ses cheveux se hérissèrent sur sa nuque. Il se pencha en avant pour vomir. Son estomac ne contenant rien, la bile lui irrita la gorge. Jamais il ne parviendrait à oublier la démence meurtrière des chevaliers, ni même le visage ensanglanté de Demetrio tandis que les spectres le dépeçaient vivant. Tout cela dépassait son entendement.

Angoissé, il chercha Lugan et Mirelha du regard et éprouva un intense soulagement en constatant qu'ils reposaient non loin de lui sur le manteau blanc. La louve ne tarda d'ailleurs pas à frémir, puis à maugréer. Elle se redressa prudemment tout en fouillant les environs d'un œil méfiant. Elle ne ressentit ni apaisement ni une quelconque forme de reconnaissance en constatant que le sorcier les avait abandonnés loin de la ville. Cet être ne lui inspirait que du dégoût et du mépris ainsi que, bien entendu, une légitime terreur. La nuit, d'ailleurs, s'était étendue sur le pays durant leur inconscience. Elle frémissait à l'idée d'avoir oublié ce que le sorcier avait fait entre le moment où Demetrio avait connu sa fin et celui où elle avait ouvert les yeux sur la forêt enneigée.

— Quel genre de personne peut commander à une armée de spectres ? finit-elle par murmurer sans vraiment attendre de réponses.

— Un fou ou un monstre...

Lugan s'était levé. Il inspectait les alentours comme s'il craignait de voir surgir des buissons Demetrio ou ses hommes revenus d'entre les morts. Après ce qu'il avait contemplé, plus rien n'aurait pu l'étonner. Si sa foi en Dieu – du moins tel qu'il le concevait jusqu'alors – avait été ébranlée par les récents événements, il continuait de croire que le Diable existait et que celui-ci ne pouvait être que la créature qui le terrifiait malgré son amnésie. Il ferma les yeux pendant quelques secondes. Les images cherchaient à s'imposer, mais elles se dérobaient à lui dès l'instant où elles devenaient trop précises.

— Pourquoi n'a-t-il pas entièrement effacé notre mémoire ? fit Mirelha.

— Tu te souviens de son visage ? demanda Lugan.

— Non, avoua-t-elle après un moment d'hésitation.

— Il n'efface que ce qui l'arrange, intervint Cassian. Je crois qu'il veut que nous nous rappelions notre dette... et que nous sachions aussi ce dont il est capable lorsqu'on le défie.

Mirelha lui jeta un regard de reproche qui en disait long sur son désir d'oublier l'orgie sanglante. Elle se frotta les bras avec un tremblement, puis éleva les yeux vers la cime des arbres. Les étoiles brillaient timidement. Elle huma l'air, incapable de reconnaître la moindre senteur.

— Quelle pute ! gronda-t-elle. Où nous a-t-il abandonnés ?

Lugan haussa un sourcil, ce qui lui valut une œillade glaçante de la part de sa sœur.

— Quoi ?

— Rien.

Elle plissa les paupières et entrouvrit légèrement les lèvres, comme si elle s'apprêtait à répliquer, mais Cassian l'agrippa par le bras pour l'entraîner à distance. Lugan les suivit du regard sans rien dire, nullement dupe de la conversation le concernant qu'ils auraient, puis reporta son attention sur les arbres nus qui les dominaient. Le froid commençait à le mordre jusqu'aux os malgré son épais manteau doublé de fourrure. Le hululement d'un oiseau nocturne le poussa à ramasser l'épée que Mirelha avait abandonnée. L'épuisement conjugué aux récents événements le rendait plus nerveux que de raison. Il éprouvait aussi une intense tristesse à l'idée que sa sœur le traitât à jamais comme un étranger.

Umbrae Proles 1 : L'héritier du loupWhere stories live. Discover now