18 - Le cadeau

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Cassian entrouvrit les paupières avec un gémissement et cracha pour chasser le goût du sang qui avait envahi sa bouche. Hagard, il promena son regard sur les murs de la vaste salle éclairée à la torche. Personne ne se trouvait sur les bancs que l'on avait repoussés au fond de celle-ci. Son esprit embrouillé par la souffrance mit de longues minutes à reconstituer les récents événements. Lorsque la mémoire lui revint, il sanglota presque de désespoir avant que la fierté ne le poussât à se ressaisir. Il déglutit et chassa ses larmes en battant des paupières.

Il s'était éveillé des heures auparavant, peut-être même des jours, pour découvrir avec horreur qu'il était tombé entre les mains des chevaliers. Paniqué, il avait voulu se transformer. Mais, comme il l'avait appris depuis, le cerceau de métal qui lui comprimait le cou annulait ses pouvoirs. Il s'était meurtri la peau en cherchant à l'arracher. L'inquisiteur s'était moqué de son impuissance. Cassian lui avait fait remarquer, avec insolence, qu'il aurait moins ri s'il n'avait pas employé des moyens déloyaux pour le maîtriser. Autrement, il lui aurait déjà arraché la gorge et dévoré les entrailles. Demetrio, tel était son nom, n'avait pas goûté ses insinuations sur sa lâcheté. Encore moins que Cassian s'acharnât à en appeler à Dieu pendant qu'il le punissait. De telles prières n'avaient pas sa place dans la bouche d'un démon, avait-il affirmé. Le loup-garou avait persisté jusqu'à ce que Demetrio décidât de le faire crucifier à sa manière pour avoir invoqué avec autant d'effronterie le Seigneur.

Cassian chercha à décoller son dos meurtri par le fouet et le fer rouge de la planche en bois contre laquelle il reposait. En vain. La série de clous enfoncés dans ses bras l'en empêchait, de même que ceux qui lui perçaient les jambes. Bien que les plaies fussent douloureuses, elles étaient sans gravité. Lorsque les chevaliers le décrocheraient, il en guérirait bien plus vite que quiconque, avec ou sans soin. Un loup-garou pouvait endurer beaucoup. Hélas.

L'angoisse le rongeait à l'idée des autres tourments que pourrait lui infliger l'inquisiteur, mais il savait aussi qu'il possédait une information que l'homme d'Église désespérait d'obtenir : la localisation de la meute. Tant qu'il se tairait, Demetrio serait obligé de le garder en vie et, surtout, capable de parler. Il se raccrochait à l'espoir que les siens auraient le temps de fuir vers des contrées plus accueillantes. À l'inverse, il n'espérait pas le moindre secours.

Soudain, la porte s'ouvrit. Il grogna lorsque le Vénitien entra. L'homme au teint olivâtre le dévisagea avec morgue. Il tenait dans sa main le chapelet qu'il ne cessait pas d'égrener. Ce geste comme le bruit des perles irritait le louvat, d'autant plus qu'il ne pouvait rien faire pour le stopper.

— As-tu eu le temps de réfléchir à mes questions ?

Cassian détourna la tête avec obstination. Il surmonta sa souffrance pour prononcer quelques mots qu'il savait à même d'épuiser la patience du boucher.

— Sommes-nous le soir ou le matin ? Tout cela a fini par me donner faim.

— Je vois que tu n'as toujours pas perdu ton audace.

Le jouvenceau reporta son attention sur l'inquisiteur, dont le sourire malsain laissait entendre qu'il aurait finalement regretté que son infortuné invité cédât aussi vite à la torture. Cassian tira sur son bras droit. La tête des clous déchira un peu plus ses chairs qui tentaient de cicatriser malgré le fer qui les traversait. Il serra les dents pour étouffer sa plainte.

— Je ne répondrai qu'à Lugan, finit-il par déclarer Cassian en lui jetant un regard de défi.

Le sourire de l'inquisiteur s'effaça.

— Lugan n'a aucun désir de te parler.

— C'est fort regrettable, car j'avais beaucoup à lui dire. Comme, notamment, où trouver les miens.

Umbrae Proles 1 : L'héritier du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant