16 - La bénédiction

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Lugan se massa les tempes dans l'espoir de calmer la douleur qui pulsait sous son crâne. Puis il entrouvrit la porte de la masure ; celle-là même qui les avait abrités, Cassian et lui. L'extérieur n'avait pas changé. L'intérieur non plus. Il se recula. La neige craqua sous ses pieds. Un rayon de soleil frappa ses pupilles et intensifia sa névralgie.

Depuis cet étrange matin où il s'était réveillé dans un lit baigné de sang, un mal de tête languissant le torturait. La céphalée n'était pas assez violente pour l'obliger au repos, mais elle l'accompagnait malgré tout chaque heure et rendait son sommeil difficile. Et lorsqu'il parvenait à fermer l'œil, il plongeait dans un gouffre noir dépourvu de moindre rêve.

Parfois, une impression désagréable, une image oppressante ou des murmures sibyllins perçaient le voile de son amnésie. Il avait alors le sentiment que les souvenirs de cette étrange nuit ne demandaient qu'à resurgir, mais ils se dérobaient à lui à chaque fois, et la nature même de ses réminiscences fragmentaires lui filait entre les doigts. Seule lui restait une profonde angoisse qui lui serrait la gorge.

Lugan en savait bien assez sur le monde surnaturel pour comprendre que quelque chose de terrible lui était arrivé entre le moment où il avait quitté la taverne et celui où il avait repris conscience dans son lit. Son ignorance le minait, et il se persuadait que la vérité l'aurait bien moins bouleversé. Il aurait compris pourquoi il ressentait le pressant besoin de traquer les loups-garous. Il avait tenté de résister à la pulsion, mais celle-ci avait grandi en lui, et le mal qui bouillonnait dans son crâne avait même paru s'intensifier. La forêt l'obsédait. Il avait fini par se lancer sur les sentiers en dépit des menaces de Demetrio. Il le regrettait.

Lugan s'éloigna de la masure. Les arbres, hauts mais dénudés en cette saison, n'occultaient pas le ciel. Il considéra l'azur pendant quelques secondes avant que les vrilles qui le torturaient eussent raison de lui. Il préféra rebrousser chemin vers la cabane.

Soudain, un bruissement attira son attention. Il continua de marcher comme s'il n'avait rien entendu. Sa main descendit discrètement sur l'arbalète qu'il portait en bandoulière. Lorsque la neige craqua dans son dos, il se retourna, prêt à tirer, puis baissa son arme avec un soupir de soulagement. Le loup à la fourrure de feu approcha alors et vint s'asseoir à ses pieds pour le fixer de ses yeux vairons.

Lugan hésita avant de poser un genou à terre. Les iris bleu et vert le fascinaient, mais, en même temps, éveillaient une inquiétude dont il n'arrivait pas à identifier l'origine. Une image fugace surgit. Il crut comprendre l'espace d'une seconde. Puis elle s'évanouit.

— Comment m'as-tu trouvé ?

Le chasseur se reprocha aussitôt sa bêtise. Comment Cassian aurait-il pu lui répondre sous cette forme ?

Nos sentinelles t'ont repéré très vite...

Lugan sursauta lorsque les mots se formèrent dans son esprit. Il eut vite fait de sauter sur ses pieds et de reculer.

Sommes-nous repartis pour une longue discussion sur les démons ?

— Tu lis mes pensées ! s'écria-t-il en le foudroyant du regard.

Non. Je te permets d'entendre les miennes.

— Je croyais que tu détestais cela.

J'ai changé. Toi aussi, n'est-ce pas ?

Cette fois, Lugan garda le silence. Il était effrayé par la perspective que Cassian pût lire son esprit et tout savoir de lui alors que la réciproque était impossible.

Umbrae Proles 1 : L'héritier du loupWhere stories live. Discover now