Charlie

Chapitre Huit - « Un sourire pudique »

Charlie enfile son manteau, lace ses chaussures et sort de chez lui, enthousiasmé comme jamais. Un léger sourire éclaire son visage, il est heureux, il va enfin faire ce qu'il aime. Une journée par semaine il va oublier ses études de droit qui lui déplaisent fortement, oublier ses voisins bruyants, les dossiers à rendre et les coups de téléphone à passer en Angleterre. Il entre dans le tramway vide, il ne tient pas en place, il ne cesse de regarder sa montre, il ne veut pas être en retard pour son premier jour de travail.

Joe sautille presque lorsqu'il se rend à la boutique, il sifflote et sourit de toutes ses dents. Il est sûr que sa boutique ne coulera pas, non elle va remonter à la surface grâce à Charlie, c'est un pâtissier hors pair, il en est convaincu. Il déverrouille le rideau en fer, ouvre la porte vitrée de la boutique et entre. Il allume les lumières et se débarrasse de son manteau avant de courir dans la cuisine, impatient de voir ce que Charlie préparera aujourd'hui.

Anna est fatiguée, elle n'a pas envie de partager sa journée avec Charlie. Elle n'a pas envie de travailler avec ce méprisant jeune homme, elle n'a pas envie d'être gentille avec lui. Mais elle fera tout ce dont elle n'a pas envie, parce qu'elle tient à son travail. Et puis, elle ne veut pas décevoir Joe. Elle émerge difficilement du tramway pourtant vide, ses pieds marchent lentement, très lentement, si bien qu'elle a l'impression qu'elle n'arrivera pas à la boutique avant midi alors qu'il est sept heures du matin.

Charlie marche vivement en sortant du tramway, il ressent quelque chose d'étrange, comme de la joie. Oui, il est joyeux et c'est bizarre, parce que cela fait longtemps que cela ne lui est pas arrivé. La cuisine c'est sa plus grande passion. Anna marche si lentement qu'elle doit secouer la tête pour se réveiller. Elle regarde ses pieds avancer, elle se laisse bercer par la musique qui sort de ses écouteurs. Et soudain, elle est bousculée. Elle relève la tête et croise un regard joyeux, des yeux bleus illuminés. Les yeux de Charlie. Lorsqu'il la voit, son sourire s'efface et il s'arrête de marcher.

- Désolé, dit-il sur un ton presque froid

- C'est rien, répond Anna de la même façon

Ils se regardent droit dans les yeux et continuent leur chemin jusqu'à la boutique. Anna n'a pas envie d'adresser la parole à Charlie qui s'amuse de la voir s'énerver à cause de sa froideur. Bientôt, ils passent la porte de la boutique et c'est un Joe tout souriant qui les accueille.

- Bonjour vous deux ! Je vois que vous avez fait le trajet ensemble, c'est une bonne initiative ! Anna, je te laisse expliquer quelques règles basiques à Charlie et on se retrouve en cuisine après.

Joe sourit aux jeunes gens et s'éclipse dans la cuisine. Anna soupire et quitte son manteau qu'elle accroche. Elle regarde Charlie qui fait de même. Le jeune homme n'est pas tout à fait à son aise, il ne sait pas trop quoi faire et cela amuse Anna.

- Bien, on pose nos sacs, téléphones et tout ce qui s'en suit dans le cagibi qui sert de bureau.

Anna va derrière l'étalage et ouvre une porte blanche qui donne sur un grand placard dans lequel des tas d'étagères remplies de dossiers sont accrochées au mur. Elle pose son sac à main et invite Charlie à faire de même avec ses affaires. Le jeune homme pose délicatement sa sacoche sans un bruit, attendant qu'Anna édicte les autres règles.

- On doit aussi se laver les mains avant chaque passage en cuisine, Joe est très pointilleux sur l'hygiène. Après on enfile notre tablier qu'on doit laver deux fois par semaine et on peut commencer à travailler. Est-ce que j'ai été assez claire ?, demande Anna sur un ton très sérieux

- Oui, répond Charlie en acquiesçant

Anna se plaît dans son nouveau rôle de professeur. Elle a l'impression d'avoir le pouvoir sur ce nouveau venu. Finalement, il est froid, mais pas très courageux, elle sent que leur collaboration va bien se dérouler. Joe les attend en cuisine, il les regarde se laver les mains et enfiler leur tablier, puis il tape dans ses mains et sourit.