2 - En proie au doute

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Cassian s'éveilla en poussant un cri étouffé. Son corps recouvert de sueur le faisait grelotter de froid malgré les épaisses couvertures de fourrures qui le couvraient. Tout en reniflant, il essuya les larmes qui avaient tracé des sillons humides sur ses joues. L'aura néfaste de son cauchemar n'était pas prête de s'évanouir, tout comme la douleur qui élançait son épaule.

Cassian resta un moment immobile, à écouter le crépitement du feu de camp et le souffle paisible des autres membres de la meute. La chaleur de Lycaon et Mirelha l'entouraient de part et d'autre d'un voile protecteur. Ils dormaient juste à ses côtés, comme père et mère ou frère et sœur. Il aurait dû être comblé et se blottir contre eux, mais le malaise monta en lui depuis ses entrailles jusqu'à son cœur.

Des souvenirs de son enfance crevèrent la surface par vague et, avec eux, la raison pour laquelle il s'était aventuré dans ce village humain. C'était bientôt le jour de la naissance du Christ. D'autres larmes coulèrent à la pensée de sa famille, sa véritable famille, morte et enterrée depuis des années à cette même date.

Des siens, il ne se remémorait que quelques bribes confuses : odeurs, voix et visages. Toutefois, leur fin s'était incrustée dans sa mémoire. Ils avaient vécu une journée splendide de joie et d'amour pour honorer le fils de Dieu, et une nuit de carnage et de sang. Sa vie d'humain s'était consumée en même temps que l'aube se levait.

Plusieurs années s'étaient écoulées depuis, et il appréciait sa nouvelle famille ; la meute qui l'avait recueilli alors qu'il était voué à une mort certaine. Pourtant, ce sentiment s'estompait dès lors que Noël approchait. L'humanité l'appelait plus que jamais. La nostalgie d'un Paradis perdu, dont il avait presque tout oublié si ce n'était la chaleur et la sécurité, le submergeait totalement.

Il n'avait aucune rancœur envers Lycaon et les siens. Après tout, ils l'avaient sauvé des soudards qui s'étaient attaqués à son village en trahissant la paix imposée par Dieu. Pourtant, il ne parvenait pas à être heureux de sa situation, car ils l'avaient transformé en créature du Diable. Le monde des humains qu'il chérissait tant lui était désormais interdit. Toutes ses tentatives pour le rejoindre se soldaient par de cuisants échecs. Cette fois, il avait failli y laisser la vie.

Cassian essuya son visage à l'aide de ses poings puis se glissa hors de la couche. Tout en prenant garde de ne pas faire de bruit, il se faufila entre les nombreux corps endormis. Au-dessus du feu de camp bouillonnait une marmite si grande qu'il aurait pu entrer tout entier dedans. À l'odeur appétissante, son ventre se mit à gargouiller. Il était aussi alouvi qu'une bête errante.

Il ne savait pas combien de jours il avait été alité, mais son ventre réclamait que le vide fusse comblé. La nourriture que Lycaon lui avait fait avaler de force, lors des rares moments de lucidité où il ne risquait pas de s'étouffer, n'avait pas suffi. Pourtant, il n'osait pas se servir alors que tout le monde dormait. C'était le fruit de la chasse de la meute entière. Lui, qu'avait-il fait à part se remettre de blessures dont il était entièrement responsable ?

Tout en restant indécis et honteux, Cassian écouta les soupirs moribonds du vent derrière la peau tendue qui refermait l'entrée de la grotte. Était-ce les âmes qui tentaient de lui apporter quelques messages de sa famille ? Était-elle heureuse auprès du Seigneur ? Il avait déjà rencontré des fantômes depuis sa métamorphose en lycanthrope, mais tous avaient été de nature diabolique. Quand ils n'étaient pas restés silencieux pour se moquer de ses questions, ils avaient cherché à le tromper par des mensonges et des songes étrangement tangibles. Lycaon avait dissipé leurs illusions et lui avait expliqué que ce ne serait pas auprès de ces errants rongés par la haine qu'il pourrait entrer en contact avec sa famille. Le monde de l'Au-delà ne possédait aucune porte pour les vivants. Pour communiquer avec ceux qui reposaient en paix, il fallait soi-même mourir.

Umbrae Proles 1 : L'héritier du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant