Derrière le mur

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La résidence était splendide : nouvellement bâtie dans un quartier pavillonnaire à deux pas du centre-ville, elle offrait des appartements modernes dotés de nombreux aménagements. On trouvait tout ce qu'il fallait autour : une petite épicerie ouverte jusqu'à pas d'heure, un bureau de poste, un tabac, et même une supérette de quartier pour faire le gros de ses courses. Il y'avait au bout de la rue une école primaire, et pas beaucoup plus loin un arrêt de bus qui desservait le collège, le centre médicale et même une grande rue piétonne avec des restaurants en tout genre qui se terminait par un cinéma.

Ça n'avait pas été simple d'obtenir le prêt de la banque, mais j'étais enfin dans les murs. "Proprio", ça sonnait bien, mais la réalité était que pendant les 25 prochaines années je serai débiteur d'un organisme de crédit avant de vraiment pouvoir me prétendre chez moi. Mais qu'importe : aujourd'hui je suis là, dans mes presque 60m² pour l'instant vides, à m'imaginer comment sera ma vie ici.

Il me fallut moins d'un mois pour aménager l'appartement. Les week end s'enchaînaient au rythme des coups de peinture, aidé par les potes qui avait un peu de temps. Le résultat valait vraiment la peine, et mon petit nid était enfin "à ma sauce". Les murs, peints d'un jaune soleil vif, étaient décorés avec des cadres noirs dans lesquels j'avais enchâssé des pochettes de vieux vinyles : style vintage garantie !

Pour les meubles, j'avais principalement repris ceux de mon ancienne chambre histoire de limiter les frais. Parce que c'est bien joli d'acheter un appartement, encore faut-il avoir les moyens de s'acheter un lit digne de ce nom pour mettre dedans. Il me fallut environ 6 mois pour que tout soit en place : salon, cuisine, chambre, salle de bain... ça y'est : c'était une vraie maison, un vrai chez moi.

Pendant tout ce temps, l'appartement d'à côté était resté inoccupé. Il avait été acheté par un investisseur qui voulait le faire aménager pour le louer ensuite tout meublé. Plutôt malin quand on sait combien s'est difficile de se loger de nos jours.

Je n'avais donc pour voisin que le bruit des ouvriers qui venaient la journée pour tout installer de l'autre côté du mur.

***

Cela faisait presque un an que j'étais installé quand des voisins arrivèrent. C'était une jeune couple d'asiatiques, poli et serviable, mais pas très causant. Je les croisais parfois au détour du hall d'entrée lorsque je passais prendre mon courrier. C'était "bonjour" "bonsoir" et point barre.

Ils restèrent environ un an avant de partir pour un logement plus grand, vraisemblablement parce que madame attendait un heureux événement.

Je n'ai jamais vraiment su le jour où ils étaient partis.

A peu près un mois plus tard, un nouveau couple s'installa à côté. Lui avait environ 25 ans, tandis qu'elle semblait n'en avoir même pas 20. Bien plus chaleureux que leurs prédécesseurs, ils vinrent se présenter à ma porteavec une bonne bouteille en cadeau  histoire de faire connaissance.

Le courant passa bien entre nous : lui travaillait comme livreur dans la région pour une petite boite, tandis qu'elle poursuivait un stage en secrétariat dans une agence d'intérim. Un p'tit couple comme tant d'autre, avec des rêves, des espoirs... un couple tout mignon qui donnait le sourire quand on les croisait.

Leurs rythmes très différents du mien faisait que finalement on se croisait peu, mais toutes les occasions étaient bonnes pour se laisser un mot dans la boite aux lettres : on se souhaitait la bonne année, on prévenait qu'on allait faire du bruit parce qu'on organisait une soirée avec des amis... bref que du très banal et du très cordiale.

Mon p'tit couple, je le voyais vivre à travers mon mur... ou plutôt devrais-je dire : je l'entendais. Je n'espionnais pas chez eux, mais le mur de ma chambre était mitoyen à celui de leur salon. Du coup, lorsqu'étendu dans le silence je cherchais le sommeil, c'était relativement simple de les entendre même sans chercher à le faire.

Le défi BradburyDonde viven las historias. Descúbrelo ahora