Le moment où tu l'as imaginée en train de...

— Mais stop, merde ! grogné-je en me pinçant l'arête du nez.

Plus le temps passe, et plus je me dis que je devrais consulter. La petite voix dans ma tête prend un peu trop ses aises, en dépit de ma volonté.

Je sors de ma voiture en claquant la portière, dans l'espoir de faire taire un peu le brouhaha qui envahit mon esprit chaque fois que j'ai le malheur de penser à Vix – autant dire au moins une fois par heure. C'est simple, elle ne quitte plus mon esprit, et je suis incapable de dire depuis combien de temps ça dure. De toute façon, je ne veux pas que ça s'arrête. J'aime sa présence dans mon crâne, à défaut de l'avoir dans ma vie.

Tu pourrais...

— Toi, tu pourrais la fermer.

Je vous jure, je dois avoir l'air d'un fou évadé d'asile. C'est ça, en fait... elle me rend complètement barge. Tant que mon âme ne sentira pas la sienne, je n'aurai pas de répit. Elle ne se calmera qu'en présence de mon petit renard, parce qu'il n'y a plus qu'elle qui arrive à m'inspirer la paix et la sérénité que mon cœur tourmenté réclame. Même Hope n'y arrive plus. Et elle l'a bien remarqué, je ne compte plus le nombre de fois où elle m'a posé des question concernant mon manque de sommeil ou encore mes passages à l'hôpital devenus de moins en moins fréquents. Elle ne me le reproche pas, mais je ne peux m'empêcher de m'en vouloir, c'est plus fort que moi. Elle n'a que moi, après tout. Hope ne mérite pas que je la laisse de côté, pas même pour le plus beau des petits renards.

Mes pas froissent le tapis de feuilles mortes qui craquent sur mon passage, tandis que je m'enfonce dans la forêt, les mains plongées dans la poche ventrale de mon sweat. Je prends une grande bouffée d'air frais, comme pour me débarrasser de tout le bordel qui me pollue le cerveau depuis trop longtemps. En vain. C'est infernal.

Quand enfin je distingue une tignasse blond vénitien, mon cœur loupe un battement. Ou cinq, je ne sais pas. Et pour être honnête, je m'en fous. Tout ce qui compte, c'est elle. Elle et son appareil, qu'elle tient avec délicatesse, comme si elle avait peur que le moindre bruit ou geste brusque fasse fuir le superbe parterre qu'elle immortalise sur sa pellicule. La scène se passe comme dans un rêve, comme s'il n'y avait que nous, entourés d'un vide paisible et accueillant, simplement destiné à nous isoler rien que tous les deux.

Je prends appui contre un arbre, et je l'observe. Chaque mouvement de ses boucles, qui s'agitent sous la légère brise. Chaque soupir admiratif, alors qu'elle caresse les pétales des fleurs du bout des doigts. Je ne suis pas étonné de leur nature, j'ai bien compris qu'elle n'avait d'yeux que pour cette variété.

Les orchidées.

Des plantes particulièrement capricieuses, mais pourtant si belles. Celles à ses pieds sont d'un blanc éclatant de pureté, si brillantes qu'elles contrastent avec la noirceur de la nuit.

Je prends une profonde inspiration pour m'enivrer de son parfum de lavande, avant de demander d'une voix basse :

— Pourquoi tu les aimes ?

Elle ne sursaute pas, c'est à peine si elle réagit au son de mes mots. Comme si elle avait senti ma présence.

— Parce que ma mère les aimait, je te l'ai déjà dit, rétorque-t-elle sans prendre la peine de se retourner.

— Non, pourquoi est-ce que toi tu les aimes ? insisté-je en constatant qu'elle n'a pas compris le sens de ma question.

Elle ne répond pas tout de suite. Elle se contente de ranger son appareil dans son sac, dans un silence si bruyant qu'il fait vibrer mes tympans déjà bien broyés par mon propre pouls.

Broken RulesWhere stories live. Discover now