Broken Rules

~ TWENTY-TWO ~

Chase

Mes doigts pianotent sur le volant avec impatience, tandis que je roule jusqu'au repère préféré de mon petit renard. Elle en a fait son sanctuaire, un lieu où son cœur peut battre sans que personne n'en juge la cadence. Chaque fois que je pénètre cette forêt, j'ai presque honte de souiller cet endroit qui est à son image : pur, sauvage, paisible.

Je chantonne les paroles du morceau qui résonne en bruit de fond, tout en lorgnant l'horloge sur le tableau de bord à peu près toutes les trente secondes. Le trajet me paraît à la fois interminable et pourtant si court. Trop long pour que je n'aie pas le temps de me maudire pour tous les pas en arrière que je fais vis-à-vis de Vix, mais pas assez pour que j'aie l'occasion de formuler un semblant de justification dans mon crâne.

Au pire, on s'en fout ? On emmerde Noah, on emmerde l'université, on emmerde le monde. Et puis on s'autorise le bonheur, ne serait-ce qu'un peu ?

C'est si tentant, bordel... De céder à cette maudite petite voix sournoise qui n'a que faire de mes responsabilités. De tout envoyer en l'air, rien que pour m'accorder le droit de profiter de la chaleur de mon petit renard. Mais ce serait trop risqué. Noah finirait complètement fou – plus qu'il ne l'est déjà –, il pourrait tout balancer à qui veut l'entendre, et ce serait la fin de ma carrière. Or, si je perdais mon travail, je n'aurais plus de quoi payer les soins de Hope. Et ça, je ne peux pas me le permettre. Et puis, en admettant que je le cache à Noah ? Quelqu'un de l'université pourrait nous voir, ça ne serait clairement pas mieux. De plus, Vix en subirait également les conséquences, j'entends déjà les insultes qui fuseraient si les étudiants savaient qu'elle se tape son prof.

Ou sinon, personne n'est obligé de savoir.

Mes phalanges étranglent le volant de ma Jeep tandis que je serre les dents pour me retenir de pousser un soupir exaspéré. J'ai beau vouloir respecter les règles que cette situation m'impose, une partie de moi n'est pas du même avis.

Vraiment pas.

Mais au fond de moi, tout au fond... l'idée ne m'est pas désagréable. Pouvoir enfin la toucher, lui montrer que je ne lui ai pas menti, que je suis et serai toujours là.

Pouvoir l'embrasser, la chérir, la guérir...

Le tout, en esquivant tous les désagréments que cette relation nous apporterait, ce serait comme un rêve éveillé. Je pourrais l'avoir, et plus simplement me contenter de la voir quand elle franchit le seuil de ma salle ou quand je passe la soirée avec Noah. Elle pourrait être mienne, adoucir mon âme malmenée par la condition de Hope, rien que par sa présence et sa chaleur. Et bordel, par-dessus tout, je pourrais lui prouver que tous les hommes ne sont pas de gros cons, que son consentement et son plaisir ont de l'importance.

Oh, comme j'aimerais l'entendre gémir sous mes coups de reins...

— Non, grommelé-je en secouant la tête. Non, non, non, non, non, putain.

Oui, la perspective de faire de mon petit renard un secret bien gardé, précieux comme cette forêt à ses yeux, est plus tentante que n'importe quel trésor, mais ce n'est pas une bonne idée. J'ai peur qu'à un moment ou un autre nous nous foirions – que je me foire –, et je ne pourrais pas le permettre. Je ne suis déjà pas discret quand je l'admire durant mes cours, alors même que je n'ai goûté qu'à ses lèvres. Alors qu'en serait-il si je venais à connaître la saveur du reste de son corps ? Une délicieuse catastrophe.

Je pousse un soupir de soulagement quand enfin j'aperçois l'ombre du vélo de Vix, appuyé contre un arbre à l'orée du bois. Avant que mon cerveau se perde en images toutes plus alléchantes et inatteignables les unes que les autres, il carburait aux craintes et me balançait des suppositions paranoïaques telles que « et si elle n'est pas à Cougar Mountain ? » ou « et si Noah est avec elle, en train de lui faire regretter ses mauvais résultats ? » . Et je ne sais pas ce que j'ai préféré comme pensées, au cours de ce foutu trajet qui m'a paru durer une éternité.