Chapitre 20 Aaron

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Comme chaque matin depuis que je suis responsable de tout un tas de guerriers, je me rendis dans mon bureau. Essayant malgré mon humeur massacrante du jour d'honorer mes obligations. M'imposer une certaine routine m'aidait à garder le contrôle et celle-ci en faisait partie, comme pour m'obliger à rester actif et à ne pas perdre le fil des journées. Organisant des réunions matinales avec mes hommes, ceux qui se tenaient à mes côtés constamment, ceux qui avaient offert leur allégeance à mon frère. Ceux à qui je donnerais ma vie sans aucune hésitation. Ces hommes qui avaient soif de vengeance et qui se comportaient comme de bons soldats. Des hommes que je détachais un peu partout, ayant pour seul but d'écumer les contrées, à l'affût du moindre rebondissement.

Dès que le temps me l'octroyait, je m'entraînais sans relâche à l'académie, assouvissant mon désir de combattre, celui de faire couler du sang. À vrai dire il m'offrit surtout d'occuper mon esprit pour ne pas broyer du noir. Quant à mes nuits, elles se ressemblaient toutes, et beaucoup trop à mon goût. Comme un automate, mes gestes devinrent un rituel, me permettant de ne pas sombrer. Je passai le plus clair de mon temps devant la grande cheminée du salon, noyé dans mes pensées, mes regrets, et certainement beaucoup trop d'alcool. Je savais que mon frère s'inquiétait de me voir dans cette situation. J'avais beau tenter de dissimuler mon état d'esprit actuel, lui me regardait tel que j'étais, dépérissant de jour en jour.

Cette volonté de me battre m'avait quitté, et je n'avais plus la force d'y croire.

L'espoir avait disparu.

***

Une porte grinça, recouvrant le bruit des crépitements du feu, je n'y prêtai pas attention et gardai mon regard plongé dans je ne sais quel vide intersidéral.

- Est-ce que je peux me joindre à toi ?

La voix fébrile d'Ana retentit dans la pièce, l'écho de ses paroles rebondit contre les murs, comme un murmure à peine perceptible.

Je ne pris pas la peine de lui répondre et la laissai avancer. Cela n'avait aucune importance pour moi, j'étais devenu cet homme froid et distant aux yeux de tous, et elle profita de ma faiblesse pour amorcer une approche.

Au début, elle passait le plus clair de son temps, assise dans ce grand fauteuil sans prononcer un seul mot, plongeant son regard sur le feu. Très vite elle écoula ses nuits à tenter de me faire rire, ne serait-ce qu'un sourire, qui lui octroierait une victoire bien méritée au vu de son acharnement.

Un soir comme les autres, dans un élan presque naturel et complètement bon enfant, nous discutions appuyés l'un à côté de l'autre, à se raconter notre journée, dans les moindres détails. C'était surtout elle qui parlait et moi qui écoutais. Une habitude que nous avions mise en place, elle et moi. Le temps paraissait plus facile à encaisser au côté de quelqu'un qui n'avait pas besoin de faire semblant, quelqu'un qui vous connaissait. Et en toute honnêteté, je ne voulais le passer seul. De peur de ressasser des souvenirs sombres et douloureux.

Happé par le son du crépitement du feu, je ne la remarquai pas s'approcher plus près que nécessaire. Elle appuya sa main sur mon épaule, me faisant pivoter la tête vers elle, le regard bercé dans une illusion autre que celle d'Ana à quelques centimètres de mon visage. Elle franchit la distance entre nous, pour déposer ses lèvres sur les miennes. Dans un baiser timide, elle se stoppa un instant pour jauger de ma réaction. Pris de court par son geste, mes mains quant à elle se fixèrent de part et d'autre de son visage pour l'éloigner, et à la fois le maintenir assez proche du mien.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Tout va bien, laisse-toi aller, murmura-t-elle.

- Tu n'aimeras pas celui que je suis devenu, Ana !

Mes yeux s'attardaient sur elle, et depuis une éternité je la regardai enfin, et la vis non pas comme une guerrière ou une amie, mais comme une femme au trait lisse et flatteur. Ses yeux noisette me transpercèrent, ainsi que ses lèvres fines qui devenaient un appel au péché, je sentais mon corps réagir avec envie.

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