Chapitre 14 Elle

6 1 0
                                    

À l’intérieur du domaine, des murs épais faits de pierre séparaient les pièces. Les plafonds hauts et les couloirs étaient tout aussi impressionnants par leur taille que par leur longueur. La poussière du lieu m’indiquait qu’il n’était plus habité depuis un certain temps, mais aucun meuble n’avait par ailleurs été retiré. Les ouvertures dans les murs laissaient la lumière naturelle s’engouffrer dans ce lieu. Cet endroit était magnifique et dans d’autres conditions il pourrait être le lieu parfait où j’aspirerais à me sentir chez moi. Les hommes qui me précédaient m’entraînèrent en direction d’une pièce à l’écart des autres. Plus je m’enfonçais à l’intérieur et plus mes pas se faisaient hésitants. Mes doigts quant à eux ne tenaient visiblement plus en place, ne faisant que remuer dans tous les sens le long de mon corps. Mes yeux se froncèrent en constatant que l’endroit était déjà prêt pour leur rituel, ils se seraient bien passés de mon accord si Aaron n’avait pas été là ! Et quand la chaleur de sa main se posa dans le bas de mon dos, un frisson me transperça la poitrine. Un simple toucher de sa part et mon corps réagissait instantanément. Aaron approcha de mon oreille, son souffle chaud sur ma peau me consumait et dans un murmure qui me fit frissonner, il me rassura.

— Je serai juste à côté de toi. 

Allongée sur une grande table, j’étais tel un corps que l’on allait sacrifier pour offrir son sang aux dieux. 

— Père Lucius ? J’ai besoin que vous l’immobilisiez, lança Dorian.

Le prêtre s’activa autour de moi. D’un pas frôlant l’excitation, il s’empara de chaînes posées à chaque recoin de la table, maintenues entre elles, les maillons s’entrechoquaient et le bruit strident du métal me vint aux oreilles. 

— Que faites-vous ? hurlai-je. 

— C’est pour votre protection ! Faites-nous confiance. Je connais Dorian, je me porte garant pour lui.

J’aimerais en dire autant, mais ce serait faux. Contrairement au prêtre qui avait eu un regard sincère envers moi, l’homme d’Alianis ne m’inspirait pas ce sentiment. Il était grand et plutôt imposant, une barbe entourait son visage et ses cheveux de couleur grisâtre tombaient sur ses épaules. Il m’était impossible de dire avec précision l’âge qu’il pouvait avoir, mais son physique ne m’impressionnait pas. Cela dit, le plus troublant était ses yeux, ils m’interpellaient, comme s’il m’était impossible de maintenir un duel de regard avec lui. L’étincelle qui rayonnait était aussi noire que la mienne lorsque ma force se manifestait.  

— Almir, tu ne peux pas les laisser faire ! soupira Aaron.

Son inquiétude était flagrante et, non pas rassurante, mais quelque part, le fait est qu’il semblait vraiment éprouver de la sympathie me réconfortai.

— Aaron, je n’ai pas d’autre choix. Je ne sais pas ce qu’il y a entre vous, mais on doit savoir ce qu’elle est et si elle représente une menace ! S’il doit l’attacher pour éviter qu’elle ne se fasse du mal ou qu’elle nous en fasse, alors il n’y a pas à discuter.

— Il n’y a rien entre nous ! 

Il avait une réputation à tenir sans doute, et ne pouvait pas être déstabilisé par une femme qu’il ne connaissait que depuis peu de temps, je suppose. 

Le rituel commença et Dorian récita quelque chose dans une langue ancienne, une langue qui semblait avoir un effet sur mon corps. Mes yeux se révulsèrent, ceux de Dorian noircirent entièrement. Un vent se mit à souffler tout autour, léger au début, comme une brise matinale assez fraîche pour provoquer un frisson, puis vint le souffle chaud d’un vent Est. Celui qui précédait généralement un orage foudroyant. 

Le père Lucius n’avait pas l’air ravit, et chacun se mit sur ses gardes. Je pouvais ressentir s’affoler les battements de cœur de ceux qui m’entouraient. Leurs pulsations étaient irrégulières. Je sentais la sueur envahir leurs fronts, dégageant tous le même sentiment. 

La peur. 

Mon corps quant à lui se contorsionna d’une façon qui n’avait a priori rien d’humain. Comme possédée, mon dos se courba, ma cage thoracique fut à deux doigts d’exploser et ma respiration devint saccadée. La douleur m’envahit, je souffrais plus que de raison. Une marque apparut sur mon front, elle se mit à scintiller d’un bleu si pur qu’elle se projeta sur la pierre au-dessus de moi, là d’où je pouvais l’observer. Le père Lucius avait l’air étonné, et en se retournant vers les guerriers, il leur indiqua que le sorcier d’Alianis avait réussi à créer un lien. Qu’il ne devrait pas tarder à pénétrer en moi. 

J’étais consciente de tout ce qui se passait, mais je n’avais plus le contrôle de mon corps, ni même de mon esprit. L’homme entra dans ma tête comme un serpent. Il se faufilait, et lorsqu’il essaya de m’arracher la moindre parcelle de souvenir, je me débattais inlassablement, pour ne pas lui donner accès à mes pensées. Mon regard s’était tourné inconsciemment dans la direction d’Aaron, je me rendis compte que Dorian était à deux doigts de m’arracher les moments intimes que nous avions eus. Une pensée perverse se manifesta dans sa tête à lui, je la ressentais et je me sentis faible de ne pas pouvoir l’arrêter, lui donnant accès à tout. 

Le rituel commençait à être long. Je faiblis et lâchai prise, sa magie était trop puissante pour que je la contre, alors il insista et pénétra en moi de plus en plus. Le sang qui coulait de mes yeux se répandit sur mon visage, l’effluve était chaud et l’odeur amer. Ma colonne vertébrale était à deux doigts de se briser. Seules les chaînes me maintenaient à la table, tout mon corps était suspendu, flottant dans les airs. Le vent souffla de plus en plus fort, traversant le domaine de toute part, s’infiltrant dans la moindre ouverture. Les vitres se brisèrent, laissant des éclats de verre joncher le sol poussiéreux de la pièce, donnant vue sur l’extérieur. 

D’un coup, Aaron se mit à bouger, je ne m’y attendais pas. Il leva son épée et brisa les chaînes qui me retenaient prisonnière, sépara les mains de Dorian qui créaient le lien. 

Je me sentais en sécurité, mais encore trop faible pour pouvoir garder les yeux ouvert, juste la force de prononcer quelques mots.

— La… clef ! C’est… la… clef, la… solution. 

Aaron s’approcha le plus près possible qu’il le pouvait, et le souffle chaud de sa voix m’apaisa immédiatement. Il me dit de ne pas parler, que tout allait bien se passer et que je devais me reposer. 

Comme si ces paroles avaient un pouvoir bienveillant sur tout mon organisme. 

Je ne me fis pas prier et sombrai dans le sommeil.

Black Eyes Where stories live. Discover now