Chapitre 4 Elle

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Assise à même le sol, les mains posées sur mes genoux repliés, je scrutai l’horizon. Plissant les yeux, et lorsque j’entendis mon estomac hurler de douleur, je ne pus m’empêcher de soupirer. Je savais qu’il allait falloir que j’y aille. Arpenter ces plaines obscures, remplies de monstres, pour trouver de quoi me nourrir. 

Ici, il n’y a pas de proies, uniquement des prédateurs. 

Ne jamais montrer la moindre faiblesse, je l’avais appris à mes dépens et chaque marque qui parsemaient ma peau me rappelait à quel point cela n’avait pas été facile. 

Mais aujourd’hui, je n’avais pas le cœur à ça, si tant est qu’il m’en reste encore un ! 

Aujourd’hui, je voulais juste regarder l’horizon. Je devrais y être habituée, à ce paysage sombre, mais non. Cet endroit me terrifiait même si j’y avais survécu. 

Les rares moments où je trouvai le sommeil, des cauchemars me hantaient, des visions de chaos déferlant dans mon esprit. Des images sur ce qui s’apparentait le plus à une prairie se dessinaient, des cavaliers tombant sous l’assaut d’un combat meurtrier, une bataille ou vivants et morts se décimaient. Le sol prenait l’apparence du sang, comme une œuvre d’art qui ruissellerait par des traits parfaits, un spectacle splendide et morbide à la fois. Je portais mes mains à mon visage en admirant leurs couleurs, elles étaient recouvertes de l’hémoglobine de mes ennemis. Mon souffle était rapide et saccadé, comme si je venais d'affronter toute une armée. Me redressant devant l’horizon, un rayon de soleil qui se dessinait au loin vint réchauffer mes joues. Une lumière aveuglante qui m’apaisait. Lorsque je me retournai, la sensation de bien-être disparut aussi vite qu’elle était arrivée et en un instant je me sentis comme frappé par la foudre. 

C’était le chaos et j’en étais la seule survivante ! 

Je me réveillais toujours dans le même état de transe. Mes mains étaient douloureuses et sujettes à des tremblements. Tiraillée par l’envie ainsi que le dégoût !

Chaque moment était une nouvelle étape à franchir, un nouveau combat à mener. Étrangement, je crus que c’était la première fois qu’il paraissait autant calme. 

Paisible ! Peut-être trop pour le lieu ! 

Quelque chose n’allait pas. Un pressentiment m’habitait, il en vint presque à m’effrayer ! Sans avoir le temps de me relever, un souffle chaud provenant des profondeurs de la terre me transperça, glissant sur mon corps, rendant mes cicatrices tout aussi douloureuses qu’au premier jour. Quand le vent s’amplifia, le sol rocailleux et aride sous mes pieds commença à crépiter de plus en plus fort, donnant l’illusion d’une musique aux sonorités entraînantes. En un instant ce crépitement se transforma en des tremblements de plus en plus intenses, ouvrant les montagnes Rocheuses en deux, laissant s’engouffrer la pierre dans un sol d’où des flammes jaillirent. Des cratères qui, la plupart du temps, restaient en sommeil, déversaient leur colère jusqu’au ciel. Un cataclysme soudain, comparable à rien de ce que j’avais pu éprouver en ces lieux. Les âmes tourmentées s’affolèrent, elles comprenaient l’enjeu qui s’offrait à elles.

Une brèche était sur le point de s’éveiller ! 

Des éclairs transperçaient le ciel, un ciel que je n’avais connu que d’un rouge flamboyant et terrifiant, comme emprisonné dans un brasier éternel. 

Une fissure se créa, un passage pour rentrer au monde des vivants. Le chemin pour revoir la lumière du jour s’ouvrit. L’air brûlant des limbes fit place à un vent glacial qui s’éleva jusqu’au ciel. L’horizon devint imperceptible et je sentis une force se manifester en moi, me disant que mon heure était arrivée. La chance du moment tant attendu, celui de retourner en surface. 

Mais ai-je vraiment envie de sortir d’ici ? 

Je ne savais pourquoi, mais une partie de moi lutta et une peur m’envahit. Des tremblements émergèrent dans tout mon corps. 

Je détournai les yeux tout autour, toisant ces chiens démoniaques vivant à mes côtés en train de me dévisager. J’avais accepté de cohabiter avec eux et ils avaient appris à tolérer ma présence. Ici, c’était la loi du plus puissant et pour ce faire, il m’avait fallu m’imposer par la force ainsi que la ruse, gagnant leur respect. 

Leurs yeux noirs me fixèrent, comme pour me supplier de ne pas les abandonner, en même temps qu’une lueur d’espoir de les délivrer, de nous délivrer, tous autant que nous sommes, s’alluma dans leur regard.

Je devins leur salut, la conquête de toute une vie. Je résistai en sachant pertinemment que j’étais à l’aube d’un nouveau jour, celui que j’avais espéré depuis tant d’années.

Celui de ma résurrection ! 
Mes yeux convulsèrent et mon corps se laissa porter dans un tourbillon infernal m’attirant vers le haut, je m’élevai. Je ne saurais dire combien d'années s’étaient écoulées précisément depuis mon départ. 

Est-ce que le monde était-il resté le même ? En passant la frontière du réel, garderais-je un souvenir d’ici ? Ou, au contraire, continueraient-ils à me hanter pour plusieurs vies ? 

Il me fallut un certain temps avant que je ne puisse retrouver mes esprits, l’air s’engouffra dans mes poumons pour la première fois depuis une éternité. Mon souffle me revint, et dans une rage presque naturelle un cri sortit de ma bouche, plutôt un hurlement m’étranglant la poitrine. 

Comme une délivrance. Comme si mon corps, lui-même, avait besoin d’extérioriser tout ce qu’il avait enduré. 

Est-ce ça la mort ? 

Serait-il possible que je sois enfin libérée ? Plusieurs questions me vinrent, sans même que je puisse y répondre.

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