Le retour à Parysse

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Lorsqu'ils revinrent de leur long voyage au sud du Pays de la Nullité, là où le soleil brillait toujours, l'Éditeur et Emma furent accueillis à l'aéroport par les autres disciples qui, pour l'occasion, avaient préparé une magnifique banderole sur laquelle ils avaient écrit : « BIENVENU CHEZ TOI SEIGNEUR ». L'Éditeur porta une main agacée à son visage hâlé par son séjour en bord de mer. Il fit remarquer que, dans ce contexte, « bienvenue » prenait un e et qu'il fallait vraiment être le dernier des branleurs pour ne pas prendre la peine d'ouvrir un dictionnaire. Emma, qui avait pris de l'assurance pendant ce périple où elle avait accompagné l'Éditeur, ajouta qu'ils avaient eu ce qu'ils méritaient.

Les autres disciples, dont l'enthousiasme ne fut pas entamé par la réponse acerbe du Seigneur, l'escortèrent jusqu'à un âne. L'Éditeur fronça les sourcils.

« Je croyais avoir explicitement demandé à ce que l'on privatise un autobus pour l'occasion ? »

(Les autobus étaient de grosses machines malodorantes qui roulaient sans nécessiter de chevaux ni de bœufs. Ils ont disparu depuis, car ils ne correspondaient pas à la volonté de l'Éditeur.)

Ses disciples échangèrent des regards gênés. Ce fut Ahmed qui répondit :

« Seigneur, on nous a répondu que ce n'était pas possible.

– Et une voiture de location ?

– C'était trop cher.

– Un taxi ?

– Peu digne de ta grandeur.

– Un fier alezan ?

– Nous n'en avons pas trouvé. Mais nous avons déniché cet âne chez un riche retraité qui nous l'a prêté bien volontiers, sans rien nous demander en retour, lorsque nous lui avons dit que nous venions en ton nom. »

L'Éditeur n'en crut pas un mot. Il soupçonna ses disciples d'avoir menacé l'infortuné propriétaire de l'âne. Mais il ne s'en soucia guère. S'il ne savait pas exactement les méfaits qui avaient été commis en son nom, il n'en était pas vraiment responsable. Alors il monta à contrecœur sur l'âne, et dit :

« Ainsi soit-il. Vous m'accompagnerez à pied jusqu'à Parysse. »

Et ils marchèrent longtemps, bien longtemps, entourant l'Éditeur juché sur son âne. Lorsque, enfin, ils arrivèrent aux portes de la ville de Parysse, une foule en liesse acclama l'Éditeur de Toutes Choses (sauf la poésie). Il y avait moins de monde que prévu, et plus d'ivresse, mais il avait bien fallu s'occuper en attendant l'Éditeur.

Toujours posté sur l'âne éreinté, entouré par ses disciples épuisés, l'Éditeur avança au milieu des Paryssiens. Il ne perdit pas une once de son flegme au milieu des louanges, des confettis, des invitations sexuelles ou des questions s'enquérant de s'il avait passé de bonnes vacances.

L'âne décéda de fatigue entre les portes de Parysse et la Grande Bibliothèque. L'Éditeur ne s'en préoccupa point, et termina sa route à pied. Les disciples, qui marchaient avec lui depuis l'aéroport, l'accompagnèrent, plus morts que vifs, les jambes usées et les pieds en sang. Lorsque Justin osa soulever une protestation, arguant ses membres fatigués, l'Éditeur répliqua qu'il n'en aurait pas été ainsi s'ils lui avaient trouvé un autobus.

Parvenu à la Bibliothèque, l'Éditeur vit le salon du livre qui s'étendait dans la rue en contrebas. Il s'offusqua des marchands qui faisait un commerce concupiscent de livres, il s'indigna du coût prohibitif des stands. Puis, jetant un œil aux couvertures, les premières comme les quatrièmes, il fut pris de colère en voyant que l'on ne vendait que des ouvrages de basse qualité, quand il y avait tant d'auteurs bourrés de talent qui attendaient un peu de visibilité. Alors il renversa les livres, démonta les stands, expulsa les visiteurs, insulta les vendeurs. Il ne s'arrêta que lorsque des policiers le prirent chacun par un bras et l'emmenèrent au poste, où il passa la nuit en garde à vue.


Les Cavaliers de l'ÉditocalypseWhere stories live. Discover now