Épître de St Matthieu aux Parents - les "vrais métiers"

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Mes amis,

Nul ne niera la difficulté d'être mère ou père. Veiller au bonheur et à l'éducation d'un enfant durant de longues années est une tâche ardue et bien souvent ingrate. Aussi peut-on comprendre l'espoir de regarder sa progéniture arriver dans le monde adulte sur le bon pied. Voire, mieux encore, sur les deux bons pieds. On le souhaite robuste plutôt qu'à la santé fragile. On veut le voir heureux plutôt que dépressif ; idéaliste plutôt qu'égoïste Et on préférerait qu'il entre dans le monde du travail avec toutes les chances de son côté.

Aussi, bien des parents poussent leurs enfants vers de longues études, vers des filières sélectives qui lui permettront de gravir les échelons. On approuve les ambitions des futurs ingénieurs, on soutient les médecins en devenir, on pousse vers l'avant les commerciaux. On félicite les techniciens Helpdesk bien que personne ne sût ce que cela signifie. On se dit : ils trouveront du travail sans trop de peine, ils gagneront bien leur vie.

Las ! Et si le fils brillant souhaitait être écrivain ? Si la fille surdouée renonçait aux études de marketing pour se lancer dans la peinture ?

Quels parents ne tremblent pas face à cette perspective ?

On était fier du petit génie tant qu'il créait à ses heures perdues ; et tant pis s'il n'écrivait que des textes médiocres. On se vantait auprès de la famille, des amis, des voisins ; on hurlait de joie depuis le balcon – comme si les œuvres du « petit dernier » résultaient d'une éducation humaniste. On avait un artiste sous notre toit ; mais, plus important encore, cet artiste allait un jour devenir architecte, ou physicien.

Quel désarroi le jour où l'enfant si prometteur balaie d'un geste son futur ambitieux, pour déclamer : « Je serai Victor Hugo, ou rien. » Lorsqu'on comprend que cela n'est pas un caprice de post-ado, et qu'il pèse bien ses mots.

Et les mauvaises nouvelles s'accumulent au fil du temps.

Il abandonne les études scientifiques, et opte pour les études littéraires.

Il quitte son travail à temps plein au profit d'un seize heures par semaine – quand il ne s'agit pas d'une année sabbatique.

On s'inquiète : comment paiera-t-il ses retraites ? Mange-t-il à sa faim ? Demeure-t-il à l'écart de la drogue ? Et puis on réalise qu'un jour ses romans paraîtront peut-être. On craint qu'il ne dévoile des secrets de famille, médise du chat, ou règle ses comptes avec des parents qui lui ont refusé de visionner Matrix à douze ans.

Tandis que sa fratrie gagne honorablement sa vie et suit les voies débroussaillées par leurs parents, l'artiste enchaîne les emplois alimentaires peu qualifiés. On lui a payé ses études pendant six ans, et ne voilà-t-il pas qu'il se retrouve veilleur de nuit ! Et si seulement on aimait ce qu'il écrivait ! Mais non, il ne cesse de parler de sexes et de sectes et de sang. Que dirait Mamie si elle savait ?

Voilà, mes amis, toutes les cogitations auxquelles se livrent des parents bien intentionnés mais ignorants. On ignore ce qui se trame dans l'esprit de son enfant – essaie-t-on seulement de le comprendre ? On le préférerait comme nous. On le souhaite plus volontiers trader ou directeur marketing qu'écrivain. On s'imagine qu'il ne pourrait pas être si malheureux dans les deux premiers cas, puisqu'il aurait argent et prestige. Tandis qu'un écrivain... dans l'imaginaire qui plus est...

Cessons l'hypocrisie, je vous prie. Beaucoup d'entre vous aimez lire. Ce goût pour la lecture est-il si vain, que vous refusiez à vos enfants le droit de l'alimenter ? Les écrivains sont-ils pour vous des intouchables – individus nécessaires au bon fonctionnement de la société, mais intrinsèquement sales ? Devraient-ils être des miroirs tendus à votre égo ?

Votre enfant, sachez-le, préfère lutter contre les allocations sociales et le coût de la vie plutôt que de dépenser quarante heures par semaine dans l'un de ces emplois que vous défendez si ardemment. Plutôt écrire qu'être directeur de ressources humaines à McDonald's. Plutôt mourir de faim qu'être trader.

Ainsi va l'éthique artiste.

Il souffrira mais, en souffrant, il se rapprochera de l'Éditeur de toutes choses (sauf la poésie) et, peut-être, du bonheur.

Acceptez votre enfant tel qu'il est. Laissez-le trouver son propre bonheur, à sa façon.

Que la grâce de l'Éditeur soit avec vous – au nom du Texte, du Livre et du Manuscrit.

Les Cavaliers de l'ÉditocalypseWhere stories live. Discover now