Les Cavaliers de l'Éditocalypse

L'Amazone

L'Éditeur revenait d'un jogging avec son coloc Amel, lorsque celui-ci lui parla de la légendaire Amazone qui vivait de l'autre côté des mers :

« Elle accepte tous les manuscrits, permettant à tous les auteurs d'être publiés. N'est-ce pas formidable ?

– J'en ai entendu parler », répondit simplement l'Éditeur en s'essuyant le visage à l'aide d'une serviette.

Amel sentit sa réticence. L'Amazone était en effet une concurrente sérieuse de l'Éditeur de Toutes Choses. Elle acceptait même la poésie. Tout en sachant qu'il s'aventurait en terrain glissant, Amel prit son courage à deux doigts, et demanda d'une toute petite voix :

« Seigneur, crois-tu que cette Amazone peut publier mes textes, si jamais tu en venais à les refuser ? »

L'Éditeur posa sa serviette, et répondit :

« Ah merde, Amel, je te le déclare : si je refuse tes textes, que tu les estimes suffisamment bons pour que le monde les lise et y trouve du plaisir, que tu paies un correcteur pour traquer toutes tes fautes d'orthographe et un graphiste pour te faire une belle couverture, que tu acceptes d'effectuer toi-même la promotion de ton ouvrage, d'y dépenser une grande partie de ton temps, de ton énergie et de ton âme ; si tu renonces à une partie de tes illusions, si tu acceptes d'être seul et noyé dans la masse, d'être étouffé par des montagnes de paperasse et d'être méprisé par tes propres lecteurs, si le besoin de reconnaissance de la part d'un vrai professionnel est secondaire pour toi, si tu as suffisamment d'argent et que tu acceptes d'enrichir une ignoble étrangère aussi grasse que vénale pour ne toucher qu'une somme misérable, si tu n'as aucune fierté et que tu te sens prêt à affronter mon courroux ; si tu acceptes toutes ces conditions, alors, oui, tu peux prendre contact avec cette Amazone et espérer être publié. »

Amel, qui n'avait pas compris le quart de ce que venait de lui raconter l'Éditeur, fut alors empli d'une grande joie.