La nouvelle Cavalerie (1/4)

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Quelques mois plus tard, j'eus le plaisir de croiser à nouveau la route des trois émérites cavaliers. Sans surprise, celle-ci s'arrêtait, une fois n'est pas coutume, à la taverne. La même taverne qui avait accueilli quelques temps plus tôt leur sombre dispute. La poésie en était d'ailleurs restée sur toutes les bouches, un tabou à vous brûler les lèvres, surtout suite à l'annonce du tenancier : : « Si cette satanée poésie a réussi à créer de la discorde entre les trois cavaliers, elle ne peut rien apporter de bon, alors que nul n'en parle ou je le fous dehors à coup de cul de chopine ! » avait-il beuglé après leur départ.

Depuis, d'obscurs groupuscules s'étaient formés un peu partout et, en petites bandes mal organisées le plus souvent constitués de jeunes ayant erré un peu trop longtemps dans les montagnes du Flou artistique, ils tapissaient avant l'aube les murs de la taverne d'affiches aux slogans qu'on ne pouvait oublier facilement tant on ne savait si c'était l'esprit ou les yeux qui s'y écorchaient le plus : « Sauvons la peau-ésie. » ou encore « Je lève mon vers à la poésie ». J'arrêterai là les frais pour ne pas rebuter le lecteur, certainement impatient de lire la suite des aventures des cavaliers – et non de se taillader les pupilles sur ces quelques lignes d'incipit.

Un soir de terne biture, à la taverne dont la porte était encore recouverte de ces affreuses affiches, je vis la Dama del Sol s'empresser de cacher les yeux du dernier shadoniste. La tête de celui-ci, aux traits autrefois durs et vaillants, pendait si misérablement le long de son cou que l'on imaginait difficile que quoi que ce soit puisse accrocher la surface de son regard – si vide que je fus pris d'une irrépressible envie d'aller m'envoyer une chopine. Derrière la cavalière, se tenait le Faune, chancelant, tel un bidibule ayant éprouvé bien trop de coups de vent. La dame prit ses cavaliers par la taille comme au départ d'une danse folklorique et s'avança sur le seuil. Je n'osais lui prêter main forte pour l'aider à entrer. Et, de fait, elle défonça la porte d'un élégant coup de pied. Elle fit assoir ses deux cavaliers à une table libre. Les tonneaux branlants vacillèrent sous leur poids en chute libre. Je me faufilai l'air de rien entre les premiers soûlards de la soirée et me glissai dos contre une poutre, à quelques mètres d'eux. J'entendis la voix claironnante de la Dama del Sol dont l'intonation dénotait cependant un anéantissement proche :

– Non, Faune, plus de champignons pour toi ! Mais enfin Shadoniste, relève-toi, tu vas finir par creuser la table avec ton front !

– Je n'en reviens pas, maugréait Shadoniste, m'être fait avoir par une sale petite Médiocre.

– Ouais, toutes des... commença à grogner le Faune avant de se reprendre, à part toi, Dame !

– Allez, suffit, on s'installe ici et on boira le nombre de chopines qu'il faudra pour vous remettre sur pieds, reprit la cavalière, si l'air frais de la montagne, les incantations à la Lune ou au Soleil n'y font rien, je ne vois plus que ça. Hélas.

– C'est encore la meilleure solution, approuva le Faune.

Le Shadoniste hocha une tête lourde de plusieurs longs soupirs.

– Ah, j'aurais préféré ne pas en passer par là, mais si tous les nobles moyens de guérison ne fonctionnent pas alors il faut bien m'avouer vaincue ! Et dire que nos ultimes deniers vont y passer.

La mort dans l'âme et le fleuret au fourreau, la Dama del Sol prit la direction du bar. Soudain, surgirent de l'ombre, à hauteur de son visage, deux énormes balles de golf – note au lecteur de fantasy à propos du golf : pratique dite sportive ramenée de terres éloignées dont je n'ai toujours pas compris l'intérêt si ce n'est de faciliter la vie aux taupes.

Je plissai les yeux, prêt à intervenir pour la secourir quand, sous la lumière des candélabres, se révélèrent deux crânes chauves. Je me retins aussitôt : les Chauves de la Montagne était revenus en ville. Bannis plusieurs fois, et sûrement pour leur plus grand bonheur, ils redescendaient de temps en temps lorsqu'ils se trouvaient à court d'alcool.

Les Cavaliers de l'ÉditocalypseWhere stories live. Discover now