Éditogenèse

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Au commencement, l'Éditeur créa les conditions d'acceptation des manuscrits. Trop de textes recevait-il pour en accepter la totalité.

L'Éditeur dit : « Que ma ligne éditoriale soit ! » Et la ligne éditoriale fut. Désormais, il ne reçut que les textes d'un genre spécifique. L'Éditeur plaça les uns dans la catégorie « polar », les autres dans la collection « théâtre », et ainsi de suite. La poésie serait proscrite. L'Éditeur vit que cela était bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : ce fut le premier jour.

L'Éditeur dit : « Que les conditions de mise en page soient ! » Et les conditions de mise en page furent. Désormais, il n'accepterait que le Times New Roman taille douze, en format doc. Il y aurait une interligne d'un espacement et demi. Il y eut un soir, il y eut un matin : ce fut le deuxième jour.

L'Éditeur dit : « Qu'une exigence orthographique et stylistique soit ! » Et une exigence orthographique et stylistique fut. Les textes écrits par des illettrés se virent jetés à la Corbeille. Seuls furent conservés ceux qui pouvaient être lus sans un mal de crâne épouvantable. Il y eut un soir, il y eut un matin : ce fut le troisième jour.

L'Éditeur dit : « Que des documents annexes soient demandés ! » Et les documents annexes furent demandés. Les auteurs durent envoyer une biographie et un synopsis, sous peine d'être immédiatement rejetés dans l'Oubli. Les synopsis dépassant une page furent proscrits. L'Éditeur vit que cela était bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : ce fut le quatrième jour.

Mais l'Éditeur recevait toujours beaucoup de manuscrits. Il lut les textes qui lui parvenaient, et il vit que cela n'était pas bon. En outre, ils étaient longs. Alors l'Éditeur dit : « Qu'un nombre maximal de mots soit ! » Et un nombre maximal de mots fut. Il fut fixé à cent mille, pas un de plus. Il y eut un soir, il y eut un matin : ce fut le cinquième jour.

L'Éditeur vit qu'il manquait encore quelque chose. Alors il dit : « Que l'Originalité soit ! » Et l'originalité fut. Ainsi, l'Éditeur ne prit que les textes inédits qui se démarquaient des autres, ceux qui brillaient par leur flamme intrinsèque. Il lut des milliers de manuscrits tandis que l'astre diurne voyageait dans le ciel. Puis vint enfin Celui-Que-l'Éditeur-Aimait. Ce texte emplissait toutes les conditions. L'Éditeur vit que cela était bon, le mit de côté, et jeta le reste à la Corbeille. Il y eut un soir, il y eut un matin : ce fut le sixième jour.

Le septième jour était férié. Alors, éreinté par tant de choix et de lectures, l'Éditeur roupilla.

Les Cavaliers de l'ÉditocalypseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant