Jeux d'enfants

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Isadora venait d'avoir quinze ans, Mina regrettait qu'on joue moins avec elle. Je délaissais nos passe-temps habituels pour lire ou rêvasser seule sur mon lit en hauteur. Elle me sollicitait sans cesse, je lui répondais en soupirant « pas maintenant ». Un mercredi des vacances de Pâques, Alexandre eut pitié d'elle.

— Et si on faisait une partie de cache-cache ?

— Tous les trois ? interrogea Mina avec avidité.

— On pourrait même demander à Isadora, je viens de la voir par la fenêtre, elle rentrait avec sa mère, dit Alexandre.

Il devait avoir vraiment envie de faire plaisir à Mina. Je courus appeler la voisine pour l'inviter, même si la proposition n'était pas bien folichonne, c'était toujours mieux que de rester chez elle, surtout depuis que sa sœur Emmeline avait quitté la maison pour s'installer avec sa petite amie. Isadora accepta sans tergiverser.

En bas de l'escalier, Alexandre appuya la tête contre son bras et commença à compter. La cavalcade qui s'ensuivit fit rire Mina aux éclats. Je la poussais pour passer, agrippai le pull d'Isadora et m'engouffrai dans la chambre des parents, sous leur lit. Haletante, j'écoutais les bruits des autres qui couraient toujours. Cela faisait une éternité que nous n'avions pas joué comme ça. Alexandre s'organisa pour trouver Mina en dernier. Ensemble, nous la cherchions partout à grand bruit, même si nous nous doutions qu'elle avait choisi le petit placard de Maman, au premier. Quand nous la dénichâmes, elle sauta de joie.

— On recommence, on recommence !

Nous fîmes plusieurs parties, dont une où Isadora nous bluffa en se cachant au-dessus des armoires de la cuisine. Même si j'en avais eu l'idée, je n'aurai jamais osé, tant cet endroit était couvert de poussière grasse collée par les années. Quand elle redescendit avec des traînées grises sur son jeans et ses cheveux roux plein de moutons, nous étions écroulés de rire.

— Maman serait morte de honte, si elle te voyait.

— Bah avec la couleur de ma crinière qui dépasse, difficile de me planquer, alors faut bien que j'innove !

Ce fut au tour de Mina de compter. Je fuis à travers la maison, puis tergiversai un moment à l'étage. On avait déjà exploité toutes les cachettes sympas. Moi aussi j'en voulais une neuve, une originale. Le décompte qui avançait ne me laissait plus beaucoup de temps. Prise de panique, je dévalais l'escalier, direction la cave. L'armoire aux déguisements, cette vieille penderie, Mina n'y penserait jamais. Dans la pénombre, je la cherchai à tâtons. Mes doigts rencontrèrent le grand miroir, ça y était. La porte grinça faiblement. J'entrai, poussai les vêtements, il y avait peu de place. Une main me saisit et me tira vers le fond.

— C'est toi, Ombline ?

La voix d'Alexandre.

— T'es con ! Tu m'as fait peur. En plus c'est trop petit pour nous deux.

J'allais ressortir, mais des pas retentirent dans l'escalier. Mina nous avait sûrement entendus descendre. Alexandre me serra contre lui et réussit à fermer la porte de l'armoire sans bruit. En équilibre instable, je retins ma respiration. Ma sœur arrivait dans la pièce, à pas peu rassurés. L'interrupteur, planqué derrière le frigo de réserve, était difficile à atteindre. Mina ne semblait pas y parvenir.

— Pfff cresson de tumulus...

Nous manquâmes de nous étouffer en retenant le rire susceptible de nous trahir, mais Mina n'entendit pas, elle fit demi-tour et remonta l'escalier. Je murmurai.

— Elle a les chocottes, elle reviendra avec Isadora dès qu'elle l'aura trouvée.

Mon pied s'enfonçait dans une étoffe matelassée qui glissait sous mon poids, je m'agrippais au bras d'Alex. Il me serra plus fort contre son torse. L'odeur de son cou m'envahit, suivie d'un bonheur intense. Dans notre position, comprimés l'un contre l'autre, il devait percevoir mes seins à travers nos T-shirts. Je ne devais pas penser à ça. Mon cœur faisait du roller à pleine vitesse sur les pavés. Je n'osais pas bouger, de peur de rompre l'instant. Les minutes s'égrenaient dans le noir total. Nous ne parlions pas. Mina mettait du temps à trouver Isadora. Lentement, Alexandre commença à caresser mon dos.

— Ça va, tu n'es pas trop... inconfortable ? chuchota-t-il.

— Non, répondis-je d'une voix méconnaissable.

Je craignais qu'il s'éloigne, même de quelques centimètres. Combien de minutes avons-nous passées enlacés dans la pénombre ? Les filles finirent par descendre à la cave et nous vîmes un rai de lumière poindre sous la porte. Alexandre relâcha son étreinte. Quand Mina nous trouva enfin, elle râlait.

— C'est pas du jeu quand ça dure trop longtemps !

Je sortis en clignant des yeux. Je n'osais pas regarder mon frère.

— Rhô la tête ! Vous avez dormi ou quoi ? se moqua Isadora. Il est tard, faut que je rentre.

— C'est l'heure du goûter, dit Alexandre en refermant l'armoire aux déguisements.

Je n'avais pas faim. Les jambes en coton, je montais m'étendre sur mon lit, trop de pensées tourbillonnaient dans mon cerveau sans que j'arrive à en attraper aucune, toutes à la fois trop bizarres et incroyablement excitantes. Je m'endormis en un clin d'œil, épuisée comme après une journée de piscine. 

Mon frèreWhere stories live. Discover now