Varicelle

26 6 0
                                    

L'année scolaire touchait à sa fin, il me tardait de partir en vacances tous ensemble. Les derniers jours d'école me semblaient longs. Papa avait promis d'emprunter la caravane de tante Hélène cette année. J'étais folle de joie, nous n'avions encore jamais campé. J'y pensais en regardant par la fenêtre de la classe quand on frappa à la porte. Mon ancienne assistante maternelle de grande section s'entretint un instant avec la maîtresse avant de se tourner vers moi.

— Ombline, ta sœur est malade, elle voudrait te voir.

Je la suivis à l'infirmerie. Mina était couchée avec les yeux brillants. Sa main était toute chaude.

— Qu'est-ce qu'elle a ?

— J'suis pas bien, répondit ma sœur.

— À mon avis, la varicelle, dit l'infirmière en me montrant trois boutons sur le bras de ma sœur. Tu l'as déjà faite ?

— Je crois, oui. Mina n'était pas encore arrivée en France. J'ai même une cicatrice, là, dis-je en désignant mon menton.

— Alors pas de problème pour toi. Reste ici et essaye de réconforter ta sœur, elle a de la fièvre, c'est elle qui a demandé que tu viennes. Pendant ce temps, la directrice appellera tes parents.

L'infirmière sortit. Je m'assis sur un tabouret et entrepris de faire rire Mina avec les lunettes de la dame, posées sur son bureau. Ma sœur esquissa seulement un pâle sourire. Elle devait vraiment se sentir mal. Une question me turlupinait.

— Et Alejandro ?

Mina me jeta un regard interrogatif, je continuai.

— Pourquoi tu ne l'as pas appelé ?

Ma sœur haussa les épaules, je la laissai tranquille avec mes questions. Dans la souffrance, Mina m'avait choisie, moi. Cela effaça mes dernières rancœurs. Après la récréation de quinze heures, Alejandro jaillit dans la pièce, affolé. L'infirmière tenta de le rassurer, sans succès. Je me souvins soudain qu'il avait déjà perdu une petite sœur malade. J'aurais voulu l'aider, lui expliquer que ce n'était pas une maladie grave. Comment disait-on varicelle en espagnol ? Je lui montrai les boutons de Mina, espérant que ça le calmerait. Le contraire se produisit, il parut catastrophé. Je crus qu'il allait se mettre à pleurer. Heureusement Papa arriva bientôt et nous ramena tous à la maison. En rentrant de chez le docteur, Mina demanda pour dormir avec moi. Papa devint tout blanc.

— Vous allez me faire redéménager les lits superposés ?

— Elle peut loger dans ma chambre, sur un matelas au sol.

— Non, dit Maman. Mina est malade, elle a besoin d'un lit confortable.

Ma sœur commença à pleurer.

— Je peux, articula Alejandro en mimant ses mots. Échanger mon lit. Avec Ombline.

— Bonne idée, répondit Papa très vite avant que quelqu'un y trouve à redire.

Il lui serra l'épaule.

— Merci mon grand, tu es très gentil.

— Je veux pas que Mina pleure, murmura-t-il tristement.

Maman le prit dans ses bras pour le rassurer, tandis que Papa montait Mina dans son lit. J'étais très heureuse de réintégrer ma place auprès de ma petite sœur, néanmoins, ça me faisait drôle d'imaginer Alejandro dans mes affaires. Je n'osais pas le déranger pour aller récupérer mon carnet secret, de toute façon, il était caché. Dans mon tiroir à culottes. Et fermé à clef. Mais où avais-je planqué la clef ? Il ne fallait pas qu'il lise ce que j'avais écrit sur lui depuis son arrivée. Et même avant, depuis que je connaissais son existence en fait. Ah oui, je me souvenais : la clef dormait dans une paire de chaussettes que je ne portais jamais parce qu'elles avaient de vrais orteils, multicolores en plus. C'était comique mais pas confortable. Je peinai à trouver le sommeil. Les draps sentaient bizarre.

Je logeai dans la chambre de Mina plusieurs jours. Quand elle commença à guérir, elle me demanda un matin d'une petite voix.

— Tu vas rester avec moi, après ? Quand même, entre filles, on rigole mieux.

Je la trouvais gonflée et songeais à mon nouveau bureau dans ma chambre de grande. Je ne savais plus que choisir. J'en parlais à Maman qui préparait le petit déjeuner.

— Quand même, tu ne sais pas ce que tu veux.

— Mina non plus.

— Pfff... décidez-vous tous les trois, mais après on ne change plus.

— Ça signifie : pas avant plusieurs années ! s'écria Papa, qui suivait notre conversation depuis le salon.

Je choisis de laisser ma chambre à Alejandro. Tant pis pour le bureau de grande. Et peut-être que ça l'aiderait à rattraper son retard à l'école ? J'étais trop contente de récupérer ma petite sœur, nos fous rires et nos jeux sous la couette. Je fonçai rassembler mon carnet à secret, sa clef, mes vêtements, tous mes trésors. Je dus opérer une dizaine de voyages pour tout transvaser alors que les affaires d'Alejandro tenaient dans un unique sac. Néanmoins, il semblait satisfait, lui aussi.

— Une chambre pour moi tout seul, c'est la première fois, nous confia-t-il au repas du soir.

Maman, émue, lui ébouriffa les cheveux au passage. Moi j'adorais son accent, je sentais mon cœur fondre au soleil de ses mots. Il nous demandait souvent cachái ? pour savoir si on le comprenait, ça nous faisait rigoler, Papa fronçait les sourcils en maltraitant son dictionnaire d'espagnol sans parvenir à trouver d'où sortait cette expression qui devint vite notre mot de passe, notre code secret.

Mon frèreWhere stories live. Discover now