Le secret

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Les jours qui suivirent, Alexandre m'évita. Il fuyait dès que nous nous retrouvions seuls, son regard esquivait le mien. Du moins, je le croyais. Peut-être que je me faisais des films ? À force d'y réfléchir, je ne savais plus. Après tout, il ne s'était rien passé dans cette armoire. Accrochés l'un à l'autre pour ne pas glisser, le moindre bruit aurait alerté Mina, et la porte menaçait de grincer sur ses gonds, alors peut-être avais-je été la seule à m'émouvoir ? Et s'il n'y avait jamais eu d'étreinte, juste une accolade fraternelle dans le but de gagner la partie de cache-cache, de jouer sérieusement et de faire plaisir à Mina. La honte me submergeait quand je me souvenais de mes craintes, à propos de mes seins, moi qui restais plate comme une limande ! Jamais Alex n'aurait pu percevoir contre son torse quelque chose d'aussi inexistant que mes deux pin's. J'aurais dû me sentir soulagée, me traiter de débile, et passer à autre chose, mais dès que j'y songeais les joues me brûlaient et je souriais comme une ravie de la crèche, même devant la télé avec Mina.

— Tu penses à quoi ? Pourquoi tu rigoles bêtement ?

Je redescendis brutalement sur Terre.

— Hein ? Rien, rien, c'est... Dragon Ball.

— Pfff, tu m'énerves.

Mes explications précipitées ne la convainquaient pas.

— Entre Alex qui reste enfermé dans sa chambre, et toi qui ne réagit à rien, j'en ai marre. T'as même pas remarqué que c'était la pub !

— C'est vrai, tu trouves qu'Alex nous évite ? Je veux dire, plus souvent qu'avant ?

— Avant quoi ? demanda Mina en éteignant la télé. Tu m'énerves, je vais jouer dehors.

Ainsi je n'avais peut-être pas rêvé. Alex éprouvait une gêne semblable à la mienne, mais moi malgré ce trouble, je désirais retrouver notre complicité. J'avais besoin qu'il me sourie, qu'il m'adresse un signe. Le souvenir de l'armoire se changeait peu à peu en manque. La froideur d'Alex me donnait envie de pleurer.

Puis je compris qu'il se sentait coupable. Peut-être croyait-il avoir mal agi ? Que je lui en voulais ? À cette idée, mon cœur se serra. Je devais le rassurer. Après tout, personne n'avait rien commis de répréhensible.

Le soir dans mon lit, je retournais le problème dans tous les sens. Comment lui montrer que ce n'était pas grave, que tout allait bien ? Nous devions retrouver notre insouciance d'avant, avec un soupçon de connivence peut-être. Moi je trouvais notre secret mignon. Pourquoi se prenait-il la tête ?

Je n'oserais jamais en parler directement avec lui, plutôt inviter dix Lucas à ma fête d'anniversaire que d'affronter son regard noir.

Je m'éveillais un matin avec une sensation étrange. Mon pyjama semblait mouillé. Alors que je descendais l'échelle pour me rendre aux toilettes, Mina se mit à crier.

— Aaah, tu saignes !

Je pris peur et arrivée au sol, inspectait mon pantalon taché. Mina courait déjà dans le couloir.

— Maman, y a Ombline qui saigne !

Maman entra dans la chambre avec un grand sourire, rassura Mina, et m'emmena dans la salle de bain. Je savais de quoi il s'agissait, mais je n'avais pas pensé que les premières règles pouvaient débarquer pendant la nuit. Pour cette pauvre Isadora, elles avaient débuté en classe. Heureusement, pas très fort, elle avait eu le temps d'aller à l'infirmerie, personne n'avait rien remarqué. 

Maman m'expliqua un tas de choses que je connaissais déjà, je l'écoutai en hochant la tête. En vérité, je n'aimais pas parler de « trucs de fille » avec elle, je préférais pêcher des infos auprès d'Isadora, qui savait tout de sa sœur Emmeline. Maman me montra l'armoire où elle rangeait ses serviettes hygiéniques. Je n'avais qu'à me servir.

Plus l'inquiétude rendait Alexandre taciturne, plus l'embarras me rendait bizarrement volubile et enjouée, mais à force de me voir euphorique à table, il se détendit bientôt.

Les mois passèrent et nos comportements redevinrent normaux. Peu à peu, nous oubliâmes l'incident. 

Je n'y songeais même plus lorsque je descendais à la cave, même plus lorsque je passais devant l'armoire fatidique. La seule chose qui resta, c'est qu'à chaque interrogation sur mon manque d'intérêt pour les garçons de l'école, l'émoi que j'avais senti pour Alexandre me revenait en mémoire et me brûlait le ventre, même si ça n'avait aucun rapport. Mon amour pour Alexandre était purement fraternel, innocent et solide, comme de l'amitié, mais en beaucoup plus fort, en mieux, avec un truc en plus. J'étais fière de partager avec lui ce précieux secret. Bien sûr, je n'avais rien confié de tout ceci à Isadora. Elle n'aurait pas compris.

Mon frèreحيث تعيش القصص. اكتشف الآن