Chapitre 14 : 1313 Dead End Drive

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— Mira guapa ? C'est à toi de jouer ! m'encourage une voix grave et pleine de tendresse.

Mes yeux s'ouvrent sur un visage marqué par les rires. Cette personne si précieuse à qui je dois mes épais cheveux noirs et mon sens de l'humour, la seule figure paternelle que j'ai jamais eue : Santagio Vela.

— Grand-père...

Mes rêves les plus doux commencent souvent de cette manière : il est en vie et son sourire illumine le salon, son endroit préféré de la maison. Je suis assise sur le canapé et lui sur son vieux fauteuil en cuir à ma droite.

En baissant les yeux sur la table basse, je constate que Rose, maman, grand-père et moi avons entamé une partie de 1313 Dead End Drive. Le plateau de jeu est la réplique du manoir où nos pions animés, plus vrais que nature, sont en quête du trésor de Fay. Cette dernière nous surveille, l'air amusé, depuis son portrait au-dessus de la cheminée.

Mon point de vue bascule aussitôt et j'incarne mon propre avatar attendant sagement sur sa case que l'on jette le dé. Pour autant, tant que je suis ici, personne ne pourra le faire pour moi.

Ça n'a ni queue ni tête, mais pour une fois, ma famille est heureuse. Je contemple le tableau de Fay au cadre doré, profitant de cet univers rassurant pour m'accorder une pause.

— C'est presque effrayant de la voir sans son air pincé, déclare quelqu'un derrière moi.

Prisonnière de mon état cotonneux de rêveuse, je ne parviens pas tous de suite à tourner mon corps vers le nouvel arrivant. Si pour une raison inconnue, je ne ressens aucune peur, je suis franchement surprise quand Hell Wilder apparaît à ma gauche.

Il porte le même costume que celui de la soirée au House of Yes. Et il est tout aussi irrésistible, sinon plus.

— Je suis désolée pour votre grand-mère, reprit-il plus doucement.

Ses yeux bleus tirent sur le violet et brillent d'une compassion sincère. À force de volonté, je chasse ma torpeur et parviens à articuler :

— Vous connaissez Fay ? Comment savez-vous qu'il lui est arrivé quelque chose ?

— Nous sommes dans un rêve, élude-t-il.

— Que faites-vous, ici ? demandé-je encore.

— Je vous cherche, comme toujours.

Ses derniers mots me font ressentir des choses que je ne devrais pas. J'essaie de me souvenir qu'il est fou, trop différent.

— Pourquoi me cherchez-vous ?

— Si je le formule à haute voix, cela aura l'air ridicule.

— Chuchotez-le, alors.

Ses sourcils se froncent. Il réfléchit intensément puis se penche à mon oreille :

— Hum... Je dirais quelque chose comme : « J'ai été créé pour vous trouver et vous aimer pour l'éternité » et « le destin de mon peuple repose sur votre capacité à m'aimer en retour ».

Malgré son air sérieux, je pouffe de rire et me prends au jeu :

— Et pourquoi moi ?

— Vous ne comprendrez mes sentiments que quand j'aurai découvert le moyen de vous guérir.

Mon estomac se noue malgré l'absurdité de son discours.

— Me guérir ? Vous me pensez « cassée », vous aussi ? dis-je sur le ton de la méfiance.

Hell Wilder se tait un instant avant de placer ses mains sur mes épaules et de déclarer :

— Miss Vela, vous n'êtes pas responsable de votre état. J'en suis certain, quelqu'un vous a fait ça. Et ce monstre paiera pour son crime. Je vous en fais le serment.

La Morsure des PapillonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant