Chapitre 1 - Premier envol

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La sonnerie insupportable - car impossible à modifier - de mon téléphone résonne depuis le salon et me ramène à la réalité. Je corne l'avant-dernière page de mon polar, le referme et m'extirpe de sous ma couette à grand renfort de râleries inaudibles. Le carrelage glacé sous mes pieds me fait regretter d'avoir encore perdu mes chaussons. Le portable se tait quand j'arrive devant la table à manger, comme pour me narguer.

L'appel manqué de « Dawson<3 » s'affiche. Je regarde l'heure et constate qu'il devrait être rentré de sa réunion depuis un bon moment. Je n'ai plus l'audace de lui faire remarquer ces « retards ». Ça le met toujours hors de lui. Il claque des portes, me traite de « chieuse », m'explique : « Mira, tu peux t'estimer heureuse que tes horaires soient fixes », me reproche de ne pas lui faire confiance, etc.

Ça ne m'empêche pas d'être contrariée, moi aussi. Je décide d'attendre qu'il me rappelle. Je m'assois sur une chaise et médite sur mon manque de combativité, le regard sur mon portable. Ça fait dix longues années que nous sommes en couple, depuis la fin du collège pour être précise. La psychologue que je suis sait très bien dans quels schémas malsains je me suis installée. Pourtant, ça ne m'aide pas de savoir, parce que je ne fais rien pour changer ; un peu dans le goût de cette grande phrase sur les cordonniers mal chaussés...

Je suis surprise quand je vois la notification d'un message vocal apparaître. Il n'en laisse jamais. Je ne sais pas pourquoi, mais cette irrégularité dans notre routine me donne la chair de poule. Je porte le téléphone à mon oreille, la main tremblante. Sa voix me paraît lointaine. Il se trouve dans un endroit très bruyant. Je comprends vite que son appel était accidentel. Il parle à quelqu'un, sur un ton mielleux qu'il ne réserve qu'à moi habituellement. Son interlocutrice glousse. Je n'entends pas tout, juste assez pour que mon cœur se serre. J'avais raison d'avoir peur. Il recommence. Il avait promis. Il séduit une autre femme alors qu'il vient de me demander en mariage.

Maintenant, je n'ai plus le choix. Tout DOIT changer.

J'enfile un manteau sur mon affreux pyjama dépareillé, attrape les clefs de ma vieille Honda, qui pour une fois sont bien sur le comptoir – un signe sûrement - et file au manoir dans l'espoir d'y retrouver Rose et ses bougies parfumées. De son vrai nom Rosalia,  ma petite sœur est la seule personne que j'ai envie de voir.

Inutile de vous dire que j'ai fait demi-tour, une fois dans le hall d'entrée de mon immeuble pour récupérer mon bouquin avant de repartir pour de bon. Et aussi que j'ai claqué la porte très fort.

La Morsure des PapillonsWhere stories live. Discover now