Chapitre 3 : La Roulotte de Rosalia

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L'entrée est plongée dans le noir, ainsi que le salon. Fay doit être en voyage. Le soulagement laisse vite place à une solitude non désirée. Où est ma petite sœur ? Je débloque mon téléphone et découvre trois appels manqués de Dawson et un sms : Rose a répondu à mon « Code rouge. Retrouve-moi au manoir, ASAP ! » par un « Je suis là dans vingt minutes », envoyée il y a plus de trois quarts d'heure. J'arrive à en sourire malgré les larmes qui perlent au coin de mes yeux et mon nez qui renifle à tout va.

Je monte directement à l'étage. Mon trench atterrit dans le couloir. Je délasse mes bottines caramel et les balance dans un coin avant de pousser la porte grinçante de mon ancienne chambre.

Une fois enroulée dans ma couette, j'appelle Karen, ma meilleure amie pour me plaindre et gémir devant témoin. Comme toute personne de mon entourage, elle déteste mon fiancé et se fera un plaisir de le démolir morceau par morceau. Cette haine collective aurait sans doute dû me mettre la puce à l'oreille.

J'ai le temps de me donner plusieurs noms d'oiseaux avant que Karen ne décroche.

Elle est désolée. Je suis sa pauvre chérie. Dawson mérite la mort. Non, il mérite pire. Elle me l'avait dit. Elle rentre le weekend prochain. On va sortir et je vais boire pour l'oublier. Il faudrait aussi que je couche avec quelqu'un d'autre pour avancer.

Elle sait très bien que ça ne me ressemblerait pas du tout, pour la simple raison que Dawson est le seul homme que j'ai jamais touché. Mais l'idée de faire quelque chose qui pourrait le blesser me séduit et je m'imagine que je suis capable de m'intéresser à une personne différente.

Nous raccrochons après une conversation d'une heure et trente-deux minutes de type « boucle temporelle », de celle où on répète sans arrêt les mêmes choses, redécouvrant de faits connus comme si on les voyait sous un nouveau jour qui changeait tout. Oui, ce fut ni plus ni moins qu'un dialogue de poissons rouges outrés.

Ça m'a fait un bien fou sur le moment, mais Rose n'étant toujours pas là, mon moral retombe aussitôt dans mes chaussettes.

Je sors mon polar et dévore les deux dernières pages restantes. Je suis déçue du dénouement. J'avais vu venir ce coupable de très loin. Je jette le livre corné avec dégoût. Tout n'est que déception. Vite, j'ai besoin d'une nouvelle distraction avant de me mettre à pleurer pour de bon.

Mes yeux balaient la pièce. À la gauche de mon lit à baldaquin, je retrouve ma vitrine, un ancien vaisselier devenu la demeure de poupées ravissantes, mais fatiguées et autres nounours handicapés. Je leur adresse un sourire poli sans m'attarder. Ils ne me seront pas d'une grande aide. Ensuite, il y mon bureau style Louis XV, toujours aussi beau et si bien rangé que seule une trousse fermée y trouve sa place. Je constate que Fay est passée par là. Sur le même pan de mur, ma penderie encastrée ne contient que des habits trop petits et passés de mode qu'il faudra un jour trier, mais je ne pensais pas à ce genre de distraction.

Et pour finir, près de la porte, trône ma bibliothèque, peinte à la main par Rose. Elle avait imaginé des plantes fleuries aux tiges entrelacées, des fées confortablement installées sur leurs feuilles et avait soigneusement calligraphié nos prénoms en lettres dorées : Mira et Rosalia. Une œuvre d'art remplie de mes trésors les plus précieux.

J'aurais pu commencer par là.

Pourquoi ne pas l'avoir fait, en effet ? Je crois qu'inconsciemment, j'ai peur de tenir la pièce maîtresse de ma collection entre mes mains. C'est même sûr que c'est de ça qu'il s'agit : mon vieux carnet de poème doit m'en vouloir, à raison. Je l'ai abandonné. Il était mon plus fidèle compagnon, j'ai versé mon âme à l'intérieur et je l'ai laissé ici.

La Morsure des PapillonsWhere stories live. Discover now