Chapitre 91

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Les mois passaient ainsi et l'idée de ne pas renouveler son engagement pour se lancer dans une vraie carrière artistique commençait à faire son chemin dans l'esprit d'Adel.

La rumeur se répandit donc dans la caserne pendant l'automne. Le colonel avait noté l'info sans s'émouvoir plus que ça. Les officiers étaient plus partagés entre ceux qui souhaitaient à leur collègue de réussir et étaient même parfois curieux de ce qu'il pourrait produire et ceux qui souhaitaient qu'il reste, car c'était tout de même un officier de valeur qui méritait de faire une plus longue carrière.

Florent n'en disait rien, grommelant toujours. Il n'en pensait sûrement pas moins, cela dit, mais il avait intégré le fait de faire le dos rond à la caserne. Adel était perdu pour la cause, tant pis, ce n'était plus son problème.

L'information arriva par contre aux oreilles d'Arnaud, leur plus jeune frère, et également, bien sûr, à celles de leurs père et grand-père, qui le prirent bien moins flegmatiquement.

Suite à ses petits soucis judiciaires, le benjamin de la fratrie avait été envoyé continuer sa formation d'officier à l'autre bout de la France pour se faire oublier quelque temps. Il était revenu dans la région pendant l'été, et, même s'il avait officiellement la consigne de filer droit, il n'avait pas du tout digéré d'avoir été sanctionné pour avoir simplement voulu se débarrasser du sale pervers qui avait souillé leur nom. Ce qu'il avait vécu comme une humiliation encore plus qu'une injustice ne passait pas malgré les années.

Donc, quand il entendit que, non content d'avoir poussé son frère au divorce, puis de l'avoir épousé, le fameux pédé le détournait maintenant de son devoir patriotique en lui faisant quitter l'armée, ça ne fit qu'ajouter à sa colère. Et, quand, un soir au dîner, il entendit son grand-père pester après ce maudit lobby judéo-LGBT qui contrôlait tout au point que même l'État-Major s'aplatisse et accepte qu'il leur vole des officiers, le jeune homme se dit qu'il était plus que temps de donner une bonne leçon au fameux lobby.

Au mois de décembre 2016, Arnaud était de retour à la caserne pour un nouveau stage de quelques mois. Il faisait profil bas, mais tout le monde le tenait à l'œil : ses supérieurs directs, évidemment, Gradaille et Mikkels, bien sûr, mais aussi Florent, conscient de la propension de son jeune frère à faire des conneries et qui espérait de tout cœur qu'il allait se tenir tranquille. Les mois passèrent sans que rien ne se passe. Certes, tout avait été fait pour qu'Arnaud ne se retrouve jamais en présence d'Adel, mais tout allait bien et Florent espéra qu'il s'était inquiété pour rien.

Mais ce n'était pas le cas.

Début février, la troupe habituelle quitta la caserne en début d'après-midi pour gagner l'aéroport, pour une nouvelle mission, en Afrique, cette fois, suite à un appel en urgence de leurs collègues anglais.

Adel et les autres attendaient sagement l'embarquement quand Gradaille arriva droit sur lui, visiblement chafouin, suivi d'un Mikkels anormalement grave.

« Adel, on a une urgence, il faut qu'on retourne à Lyon, je vous explique en route. »

Très surpris, Adel hocha néanmoins la tête en se levant :

« À vos ordres, mon colonel. »

Gradaille appela ensuite Florent. Le lieutenant, intrigué, les rejoignit alors que d'autres tendaient l'oreille, plus ou moins inquiets ou étonnés.

« Mon colonel ?

– Votre frère et moi devons retourner régler quelque chose en ville et je ne sais pas combien de temps ça va nous prendre. Je vous laisse gérer avec le commandant. Si nous ne sommes pas revenus à l'heure du départ, vous embarquez sans nous et on vous rejoindra le plus vite possible. »

Le Petit PapillonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant