Chapitre 54

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Florent faisait le tour de ses troupes pour vérifier que tout allait bien avant ses congés.

Ça faisait un moment qu'il n'avait pas pu passer les Fêtes tranquillement, sans même une astreinte. Il avait d'ailleurs été très surpris lorsque son colonel avait accepté sa demande, loin de se douter que Gradaille avait eu vent des tensions qu'il avait avec sa famille, particulièrement son père et son grand-père, suite à l'annonce des décorations auxquelles Adel allait avoir droit.

Alors qu'il passait juste chez eux en partant à la caserne, apporter à sa mère un livre qu'il avait été acheté pour elle, Florent s'était ainsi vu reprocher de ne pas en avoir fait assez sur le terrain. Pire, ils avaient dit qu'il devrait avoir honte de ne pas avoir fait mieux que son dégénéré de frère, pédéraste indigne, et qu'un Noir, forcément acteur du Grand Remplacement. Il était parti en claquant la porte sans répondre et sans attendre la suite qu'il connaissait déjà par cœur, la décadence de leur belle nation réduite à céder aux lobbies LGBT et aux gauchistes en décorant des pervers et des étrangers plutôt que des vrais patriotes méritants...

Dans la voiture qui l'emmenait à la caserne, il n'avait pas décoléré.

Contre ces deux vieux cons et leurs délires.

Contre leur mépris face à tout ce qu'il avait accompli alors qu'eux-mêmes n'avaient pas posé un orteil sur le terrain depuis des décennies.

Adel était peut-être pédé, Benmani Noir, mais bon sang, personne ne pourrait jamais leur enlever leur bravoure et le courage insensé dont ils avaient fait preuve lors de cette OPEX.

Florent était en colère et enfouissait tout au fond de lui sa propre culpabilité de ne pas avoir été là, de ne pas avoir participé à cette fichue mission...

Bref, il était toujours en rogne en arrivant à la caserne et ça n'avait pas échappé à ses collègues. Benmani, en particulier, que son travail intérim de remplacement, puis sa promotion, avait rapproché de lui, s'était permis de lui demander ce qui se passait, alors que tous deux s'équipaient pour aller s'entraîner au stand de tir.

Florent lui avait donc raconté ce qu'il venait de se prendre dans les dents, pour pas un rond, concluant :

« Après ce que vous avez fait, ça me fout la gerbe d'entendre ça !... Putain, vous avez été prisonniers un mois, Rocal y est resté, t'as failli crever, Adel y a laissé une jambe et un œil, mais non, c'est juste pour parce que t'es noir et lui pédé qu'on vous décore !... »

Benmani avait secoué la tête, navré :

« 'Sont quand même bien atteints chez toi... Allez, viens te défouler sur les cibles, ça va te faire du bien !

– Grave, elles vont prendre cher ! »

Benmani avait, un peu plus tard, et sans arrière-pensée, rapporté ça à leur colonel et une brève recherche avait suffi à ce dernier pour découvrir que Florent, cette année-là, avait posé une demande de congés sans astreintes, avec comme justificatif le désir de passer le Fêtes auprès de la famille de son épouse dont la grand-mère était très malade, mais qui habitait dans les Ardennes. Logiquement, Gradaille aurait dû refuser, car l'absence de Florent sans possibilité de le faire venir d'urgence rendait limite la gestion de la base si jamais une personne venait à manquer à l'appel. Mais il avait accepté, désireux de permettre à son officier de prendre l'air loin de sa propre famille.

Florent faisait donc un tour de contrôle avant de partir lorsqu'il avait été convoqué par son colonel.

Espérant que ce dernier n'avait pas eu un imprévu remettant en cause ses vacances alors qu'ils devaient partir dès le lendemain, pour pouvoir faire le trajet tranquillement et avoir deux jours pour se reposer avant Noël, il rejoignit sans attendre le bureau de son supérieur.

Le Petit PapillonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant