Chapitre 10

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Une semaine s'était écoulée depuis que Monsieur Groomer avait récupéré nos dissertes. Une semaine durant laquelle Ed n'avait pas pointé le bout de son nez sur le campus. Du moins s'il l'avait fait avait soigneusement évité le cours de français, en sachant pertinemment que je pourrais être la cause de son absence. Peut-être avait-il peur de quelconques représailles de ma part suite à son manque d'implication. Cependant, j'étais intimement persuadée qu'il ne se préoccupait pas de moi. En revanche, je ne cessais de me demander quelle était la raison véritable de sa brève disparition. D'une certaine façon, cela me satisfaisait. Seulement, le fait même qu'il n'avait pas contribué à ce que notre binôme fonctionne m'agaçait. Visiblement, notre travail sur Britannicus l'importait peu, m'assurant une fois de plus à quel point il pouvait être égoïste et irritant. J'avais d'ailleurs été tentée de préciser auprès du professeur qu'il s'agissait en réalité de mon accomplissement personnel  uniquement. Mais,  il n'était pas dans mes habitudes d'agir de la sorte et je ne souhaitais pas aggraver la non-relation horripilante que j'entretenais avec lui. Quoi qu'il en était, j'étais soulagée de ne plus l'apercevoir ni entendre ses remarques graveleuses  me mettant hors de moi ; c'était ce que j'essayais de me convaincre en tout cas. 

- C'est partie pour une heure de calvaire ! Se lamenta Emma en prenant place sur notre siège habituel, éloigné de la ligne de mire de monsieur Groomer. 

Je me contentai de lui lancer un regard compatissant avant de m'asseoir à mon tour.

- Pire que les cours de français, continua t-elle d'une voix exagérément affligée, il y a les cours de français avec monsieur Groomer !

Je mourrais d'envie d'exploser de rire, mais ce fut à ce moment que le silence s'installa dans la salle. Je sentis le regard d'Emma posé sur moi. Elle s'attendait sans doute à ce que cède à la tentation et rigole à plein poumons ou quelque chose du même ordre. Elle devait pourtant se douter qu'après des années d'amitié, j'avais appris à contrôler mon hilarité quand il s'agissait de ses commentaires désobligeants. Elle me poussa gentiment du coude et je tournai ma tête dans sa direction, un sourire scotchée sur le visage auquel elle répondit en pouffant. Emma et moi nous comprenions par un simple regard, par un simple geste ou tout simplement par un simple silence. 

- J'ai corrigé vos désastres ! Annonça la voix aigre du professeur. Et, je me fais une joie de vous les rendre !

Tout le monde grognait sourdement. Nous n'étions pas particulièrement emballés à l'idée de récolter une note peu satisfaisante. Tout le monde, sauf moi. Mon attention dévia, sur l'ombre d'Ed qui se faufilait parmi les sièges avant de s'asseoir deux rangées plus loin. Après une semaine prolongée, le voilà de retour. Je ne sus définir quelles sensations sa simple vue me procurait. J'hésitais entre de la rancoeur ou de l'agacement et ignorais les autres, celles qui m'attiraient telles une force physique inexplicable vers lui, en désaccord total avec ma raison. Je secouai la tête comme pour me ressaisir et  rivai de nouveau mes yeux sur monsieur Groomer qui avait déjà remis les deux premières dissertes aux intéressés. Les autres groupes s'enchaînèrent rapidement. Je lus successivement du mécontentement, de la déception et parfois, dans de rares cas de la joie. Ce fut en effet le cas de Thomas qui s'extasia, ne s'attendant pas à avoir une note -à priori-convenable. A vrai dire je ne l'avais quasiment jamais entendu proférer tant d'éclats de bonheur à la simple vision d'un paquet de feuilles. Celui-ci ne fut que de courte durée car monsieur Groomer lui précisa combien la note était passable, stoppant sa crise inconsidérée d'enthousiasme . En me tournant vers sa partenaire qui le regardait avec une férocité sans nom, je compris qu'elle avait travaillée seule. On est deux ! Pensai-je pour moi même. Sa colère augmenta à l'entente du commentaire désagréable du prof. J'eus l'impression que si elle pouvait électrifier Thomas sur place, elle n'hésiterait pas. J'esquissai un faible sourire quand je le vis la dévisager, d'un air à la fois désolé, indécis et amusé. Nul doute, elle était folle de rage. Les démêlés entre le binôme ne risquait pas d'être amicaux. 

HEAVEN [en pause]Where stories live. Discover now