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- Bonjour ! 

Lucy lâche ma main et celle de Erin pour courir au fond de la petite boutique retrouver Herman toujours assis sur sa chaise. Il ne se lève plus du tout, malheureusement. Je m'inquiète de plus en plus de l'état du vendeur, mais je le cache comme je le peux à la fillette. Et je suis bien décidé à proposer à les parents la présence de Herman pour notre Noël. 

- Bonjour, sourit le monsieur. Tu vas bien Lucy ? 

Elle hoche vigoureusement la tête :

- On a une surprise pour toi !

Il lève les yeux vers moi, et remarque Erin qui se tient à mes côtés. A nous deux, nous tenons quatre chocolats chauds bien fumants qui nous brûlent un peu les doigts. Mais le regard étonné et si reconnaissant de Herman vaut tout l'or du monde. 

- Nous avons fait venir le chocolat à vous, dis-je avec un large sourire. Erin s'est appliquée, elle a même rajouté de la crème dans le votre. 

- Il ne fallait pas, murmure le vieux monsieur. Erin, asseyez vous donc !

- Non, ça me fait plaisir, dit Erin. J'avais très envie de vous voir et de découvrir la boutique. Ne vous en faites pas pour moi. 

- Je te fais visiter ! s'exclame Lucy. 

Et pendant que la jeune femme se fait embraquer par la fillette, je ne peux pas m'empêcher de revoir Lucy quelques semaines à peine en arrière, lorsqu'elle osait à peine mettre des pieds timides dans la boutique. Maintenant elle connaît cet endroit par cœur et prend du plaisir à le faire découvrir à d'autres personnes. Elle a tant changée que cela m'émeut sincèrement. 

- Comment vous vous sentez aujourd'hui ? demandais-je en m'asseyant près de Herman. 

Il hausse les épaules :

- Honnêtement bof. Ce matin je suis tombé avec des clients clients. Ils m'ont suggéré une hospitalisation. 

Je frissonne à ces mots :

- Et vous l'envisagez ? C'est sûrement le mieux pour vous. 

- Il n'est pas question que je finisse mes jours dans une chambre d'hôpital. Je veux partir ici, répond-t-il froidement. 

- Mais vous...

Il me coupe :

- Je ne vais pas guérir Felix, et c'est pas grave. Mais je tiens à partir comme je l'entends. Ne me force pas s'il te plaît. 

Je ne suis pas sûr d'être d'accord avec ce que dit Herman, mais je sais que je n'ai pas mon mot à dire, je dois respecter les envies et besoins de Herman. 

- Je te rassure, j'ai un médecin qui vient deux fois par jour ici. Je ne suis pas seul tu sais. Et je vous ai, toi et Lucy. 

J'ignorais que des médecins venaient voir le vieil homme et cela me rassure. Je hoche la tête, et au même moment, Erin et Lucy reviennent. 

- Les chocolats vont être froids, lance la petite. 

Nous nous installons tous les quatre autour du comptoir de caisse, Herman et Erin assis et nous pouvons enfin déguster les boissons. Erin nous raconte un peu plus en détail sa vie, la façon dont elle a rencontré son compagnon, la difficulté pour elle de tomber enceinte et le miracle que cet enfant représente. Puis Lucy tient à nous parler de Bulle, son poisson rouge et la manière dont il semble s'ennuyer dans son bocal, et j'ai l'occasion de parler du monde de la mode à Erin, impressionnée par ma courte carrière en tant que mannequin. Herman hoche la tête, intéressé par chacune de nos histoires, les yeux brillants. 

- Herman, parlez nous de votre femme, demandais je alors. 

Il ouvre de grands yeux étonnés, mais moi, j'ai toujours su qu'il avait besoin de parler d'elle, mais qu'il n'avait personne avec qui le faire. 

- Vous... Cette histoire ne va pas vous intéresser. 

- Au contraire, ajoute Erin. 

- Tu avais une amoureuse ? questionne Lucy. 

- Oui. Et crois moi quand je dis que c'était la plus belle femme de toute la ville, sourit Herman, heureux à ce souvenir. 

Lucy rit et hoche la tête, attentive. 

- Elle s'appelait Amélia. Nous nous sommes rencontrés lorsque nous avions quinze ans, et au premier regard, j'ai su que c'était la femme de ma vie. Elle était juste devant moi dans un parc. C'était à l'automne, les feuilles étaient brunes, comme ses cheveux. Il faisait froid, mais elle ne portait pas de manteau, simplement un large pull vert. 

Herman s'interrompt, rêveur, comme si il cherchait à se souvenir de chaque détail. Aucun de nous ne parlons, bien trop intéressés par l'histoire. 

- Je ne savais pas comment l'aborder. Elle semblait si irréelle, comme inatteignable. Puis elle m'a vu, et elle m'a sourit. Et son sourire, il a réchauffé tout le parc en une seconde. Je ne sentais plus le vent, je ne voyais plus le monde autour. Il n'y avait qu'elle et son immense lumière. 

Je jette un regard vers Lucy qui regarde Herman, la bouche entrouverte, complètement captivée par les mots du vieil homme. 

- Puis nous nous sommes avancés, comme des aimants et nous nous sommes salués comme si nous nous étions toujours connus. Il y avait déjà cette magie entre nous, mais je voulais la séduire dans les règles. Je l'ai invité maintes et maintes fois. Nous sommes allés dans des parcs, au restaurant. Deux mois plus tard, je la présentais à mes parents. Elle avait le don de plaire à tout le monde, elle faisait rien chaque personne qui passait du temps avec elle et les défauts devenaient des qualités à ses yeux, elle voyait le beau partout. 

Il s'arrête pour déglutir.

- Mais quelques mois plus tard, nous avons apprit sa maladie. Nous avons décidés de nous marier urgemment pour ne plus perdre une seconde. C'était grandiose. Merci Felix, j'avais bien besoin de raconter notre histoire. Merci de m'avoir permis de parler d'elle. 

- Tu as une photo ? demande Lucy. 

- Dans mon portefeuille. 

Des ses mains tremblantes, Herman nous sort un cliché tout petit et un peu corné en noir et blanc. Une femme aux cheveux lisses et avec une belle robe longue sourit dessus. Lucy le regarde très longtemps et sourit :

- Elle est très belle. Et après qu'est-ce qui s'est passé ? 

Herman baisse la tête :

- Deux ans après notre premier regard, elle s'en est allée. 

Un petit silence respectueux s'installe, et je remarque une larme discrète sur la joue de Erin. Mon cœur est serré. Puis contre toute attente, j'entends Lucy murmurer d'une petite voix cassée :

- Comme mon grand frère...

Je suis le seul à avoir entendu ces mots. 

Deux bouts de carton et une ficelle ➳ 𝔉𝔢𝔩𝔦𝔵Where stories live. Discover now