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- Tes brownies sont toujours aussi bons, soupire Olivia, assise sur le plan de travail.

- Je n'ai plus faim, ajoute Rachael, du chocolat autour des lèvres.

- Non moi non plus. 

Je souris en regardant mes deux sœurs se resservir sur le plateau doré malgré tout. J'avais dans l'idée de tester des nouvelles de recettes de Noël, mais je savais que si je ne faisais pas ma célèbre recette de brownies, les filles m'en auraient voulu. Et leur faire plaisir est mon unique but pour les prochaines semaines, quitte à leur donner de légers maux d'estomac. 

- Felix, tu ne vas pas voir cette petite aujourd'hui ? demande ma mère en entrant dans la cuisine. 

- Si, je vais y aller justement, dis-je en nettoyant furtivement la table. 

- Tiens, donne lui ceci. 

Ma mère me tend fièrement une jolie paire de gants vert sapin, que j'accepte. 

- J'ai passé la matinée à les faire. Tu m'as bien dit que cette enfant n'en avait pas ?

- Maman, tu es géniale, merci beaucoup, dis-je en embrassant sa joue. Je lui dirai qu'ils viennent de toi, elle sera ravie. 

- Allez, file donc ! Et les filles, lâchez ces brownies !

- Merci encore ! Je rentre vite ! 

Quelques minutes de marche plus tard, j'arrive devant l'antiquaire, un peu en avance. Lucy n'est pas encore là, alors j'attends patiemment son arrivée, mes yeux balayant la rue qui grouille de passants à cette heure de la journée. Les odeurs, les sons, les couleurs, tout ici me fait rêver et j'ai encore du mal à réaliser que je suis de retour en Australie pour un mois complet. Je crois que j'avais bien besoin de cette bouffée d'air frais aux côtés de ma famille et je ne peux pas m'empêcher de sourire niaisement. Je me sens tellement heureux. 

Je sens qu'on me tapote le bas du dos et je me retourne, content de retrouver Lucy que je n'avais pas vu arriver, plongé dans ma contemplation des rues en période de fête. Elle triture ses petits doigts froids, timidement. 

- Bonjour Lucy, comment vas-tu aujourd'hui ? 

Elle hausse les épaules en fuyant mon regard :

- Comme d'habitude je crois. 

Je ne suis pas sûr de savoir si c'est une bonne ou une mauvaise chose, sûrement ni l'un ni l'autre au vu de sa mine neutre, mais je lui sourit néanmoins avec autant de lumière possible pour tenter de concurrencer celle qui brille tout au fond de son cœur.  

J'ai hâte que Lucy se sente à l'aise et confiante avec moi. Pour l'instant elle est encore timide, en retrait, comme si elle avait peur. Non pas de moi, mais plutôt de ce que je pourrais faire ou dire, elle a peur que je ne revienne pas, elle me l'a dit. Comment une enfant si jeune peut-elle avoir déjà si peur de l'abandon ? 

- Tiens, ma maman te les a fait et elle te les offre, dis-je en lui donnant les gants. 

Elle ouvre de grands yeux ronds en voyant son cadeau, et hésite à les prendre, me regardant enfin droit dans les yeux.

- C'est pour toi. Et ça lui ferait de la peine si tu les refusais, ajoutais je.

Elle hoche lentement la tête, visiblement complètement surprise, comme si jamais elle n'avait reçu de cadeau. Comme si je n'étais pas réel.

- Je vais te les mettre. Tu veux bien ?

Quand j'ai son accord, je m'accroupi près d'elle et elle me tend ses petites mains tremblantes. Je prends mon temps pour lui mettre les gants pour ne pas la brusquer. Je sens ses prunelles noires posées avec insistance sur moi, mais elle reste immobile et moi concentré. 

- Et voilà ! Ils te vont parfaitement ! 

Lucy fixe un moment ses mains, puis un sourire sincère se dessine sur son visage. Quand elle me regarde de cette manière, avec une expression de joie pure, je sens mon cœur se réchauffer et fondre au milieu de la fraîcheur hivernale. Elle semble si joyeuse, si fière de porter ces gants que j'aurais aimé que ma mère soit là pour voir ça. Elle ouvre et referme ses mains, testant son nouveau vêtement avec joie. 

- Merci Felix. Et merci à ta maman aussi. Ils sont très beaux. 

- Je lui dirais. On entre ? Je n'ai pas oublié ma promesse. 

Elle hoche vigoureusement la tête et tend ses doigts vers les miens pour me tenir la main. Mon cœur ému manque un battement. Doucement mais sûrement, elle se rapproche de moi, calmement, timidement. Ce sont de petits geste qui peuvent paraitre insignifiants, qui sont pourtant cruciaux pour gagne la confiance de l'enfant. Et lorsque nous poussons la porte de l'antiquaire et que la sonnette retentit, le vieux monsieur derrière son comptoir lève les yeux vers nous et nous reconnait immédiatement :

- Je vous attendais ! Je me demandais si vous comptiez vraiment revenir. 

- Une promesse est une promesse ! Vous allez bien ? 

Le propriétaire sourit et hoche la tête:

- Mieux maintenant. Que comptez vous acheter aujourd'hui ?

Quelques minutes plus tard, nous sommes de nouveaux dehors, de la colle dans les mains gantées de Lucy. Elle ne quitte pas le tube des yeux comme si il allait disparaitre et je ne peux pas m'empêcher d'être attendri devant cette scène. C'est comme si elle avait de l'or entre ses doigts. Elle a peur de faire tomber ce qu'elle tient à cause des gants.

- Tu vas pouvoir commencer la construction maintenant que tu as la colle, dis-je. Le monsieur t'a bien expliqué comment t'en servir, mais tu devrais demander de l'aide à tes parents, ce sera plus facile. 

- Oui. Merci Felix. Tu es vraiment gentil. 

Ce compliment si simple est particulièrement précieux dans la bouche d'un enfant, celle de Lucy ne fait pas exception. Je me sens chanceux de recevoir ces mots qui me touchent profondément. 

- Je t'en prie, ça me fait plaisir tu sais. Je te raccompagne chez toi ?

- Non, ça ira. 

- Tu vis loin ? 

- Non. 

- D'accord, comme tu préfères. On se voit toujours demain ? 

- Oui ! dit-elle avec énergie. Tu as promis !! 

- Bien sûr. Je voulais être sûr que tu n'as rien de prévu. 

- Je n'ai rien de prévu. 

- Alors on se voit demain !

- Oui. Au revoir Felix. 

Et c'est elle qui se met automatiquement en marche, se mêlant rapidement aux passants. Pourtant je ne la perd des yeux que lorsqu'elle tourne dans une petite rue plus loin d'un pas pressé, presque sautillant.

Deux bouts de carton et une ficelle ➳ 𝔉𝔢𝔩𝔦𝔵Where stories live. Discover now