15

110 20 3
                                    

Lorsque je pousse la porte de l'antiquaire, Lucy dans mes bras, sourire aux lèvres, je suis étonné de voir Herman assis au fond de la boutique. Il ne se lève pas pour nous accueillir comme à son habitude, alors je m'avance vers lui. 

- Bonjour Herman, comment allez-vous ? 

- Felix ! Lucy ! Bien bien. Simplement je ne peux pas vraiment me lever aujourd'hui. Depuis ce matin, mes pieds sont fatigués... 

- Ils n'ont pas assez dormi ! rit Lucy. 

Je souris et Herman aussi, mais je distingue malgré tout la légère grimace de douleur quand il fait un mouvement pour poser son livre. 

- Felix, tu veux bien m'aider ? Le matériel du jour est juste derrière le comptoir. 

Je pose la petite au sol qui s'empresse de retirer sa capuche et d'aller faire un tour dans les rayons, tandis que je prête mon bras au vieil homme qui toussote en se levant. Concerné et inquiet, je le guide jusqu'à son petit bureau. Lucy a raison, la toux de Herman est inquiétante.

- Merci mon garçon... Je te souhaite d'avoir des muscles en meilleur forme que les miens à mon âge, plaisante il. 

- Asseyez vous, je vais vous chercher à boire. 

- C'est gentil. 

- J'imagine que vous ne pouvez pas marcher jusqu'au café aujourd'hui ? 

- Malheureusement non... Je suis désolé, Lucy va être déçue, je sais qu'elle avait hâte de boire un chocolat chaud. Mais vous irez sans moi, je viendrai une autre fois. 

- Nous attendrons que vous alliez mieux et nous irons ensembles, rectifiais je. Ce n'est que partie remise. 

- Je l'espère, soupire Herman d'une petite voix. 

Soudain Lucy débarque en courant et s'arrête devant nous, essoufflée et l'air paniqué :

- Felix !! La poupée n'est plus là !!

- Quelle poupée ? demande gentiment Herman. 

- La poupée en porcelaine. Celle qui était assise sur la boîte là-bas. 

- Ah Gladys ! Oui, je l'ai vendue ce matin. Désolée ma belle, soupire le vendeur.

Elle baisse la tête, déçue, et j'interviens :

- Ce n'est pas grave Lucy, bientôt tu auras ton propre Bob. Je suis sûr que la construction avance bien, n'est-ce pas ? 

- Encore mieux que prévu, avoue-t-elle. 

- Tes parents t'aident bien ? demande Herman. 

Elle secoue vivement la tête :

- Non, je me débrouille toute seule. 

- Comme une grande !

Elle hoche la tête et repart en courant sous notre regard amusé. La fillette se révèle de jour en jour, comme si elle revenait peu à peu à la vie, illuminant mes soirées et celles de Herman. J'avais raison en voyant en elle une âme pure et brillante lors de notre première rencontre. Il suffisait de fissurer un petit peu sa carapace pour le voir. 

- Tu as déjà parlé aux parents de Lucy ? me demande soudain Herman. 

- Non, elle n'a jamais voulu que je la raccompagne. Et elle ne m'en a que très peu parlé, j'ai l'impression que c'est un sujet assez sensible. 

- C'est étonnant qu'ils la laissent vagabonder seule en début de soirée. La nuit tombe tôt.

- Je sais. Mais honnêtement je ne vois pas ce que je peux faire. J'en ai parlé à mes parents, on aimerait inviter sa famille à diner. Et j'aimerais que vous veniez aussi. Vous avez quelque chose de prévu pour Noël ? 

- Du tout, avoue t il.

- Dans ce cas vous êtes le bienvenu, mes parents seront ravis de vous accueillir. 

- Vraiment ? 

- Bien sûr. J'espère que Lucy pourra convaincre ses parents. 

- Ce sera le repas de Noël le plus étrange de toute ta vie. 

- Ou le plus beau, dis je en souriant. 

- Merci Felix, tu as un cœur énorme. Je prends note de ton invitation. 

- Dites, vous avez beaucoup de clients dans la journée ? demandais-je en ramassant quelques bibelots tombés au sol.

Il hausse les épaules :

- Très peu, mais ce n'est pas grave. Ceux qui entrent repartent toujours avec quelque chose, car dans ma boutique, chacun peut trouver son bonheur. 

Je me demande si on m'autoriserait à faire une petite promo pour l'antiquaire sur mes réseaux, puis je me résigne. Herman a l'air si heureux de son commerce, ramener autant de monde d'un coup ferait perdre le côté simple et authentique du lieu. 

- J'ai toujours travaillé ici, et le peu de clients que j'ai me suffisent pour vivre, continue humblement Herman. Je n'ai pas besoin de plus, je suis heureux tu comprends ? 

- Bien sûr. 

Ce retour à la simplicité après les choses folles que j'ai la chance d'expérimenter dans ma vie me fait beaucoup de bien. Je me sens bien et discuter avec Herman est agréable et facile. 

Le vieil homme est prit d'une quinte de toux assez violente, et à ce moment Lucy revient vers nous. Je vois son regard inquiet, et avec un air apeuré, elle vient soudain me prendre la main en fixant Herman. Je me demande si la fillette a déjà été confrontée à la maladie, elle a l'air terrifiée. Il n'est pas question que je la mette au courant de ce que m'a confié le vendeur. 

- On va boire le chocolat chaud ? demande timidement la fillette. 

- Herman est fatigué aujourd'hui, on ira plus tard, dis-je.  

- D'accord. Je peux rester encore un peu ? 

Je regarde la pluie qui tombe avec force et le vent virulent de ce soir par la fenêtre. Mes parents avaient raison. En quelques minutes, le temps s'est vraiment dégradé.

- On devrait y aller avant que la tempête ne commence vraiment. Et je vais te raccompagner, le temps est trop mauvais et il fait sombre. 

- Je n'habite pas loin, répond elle. 

- Moi non plus. C'est non négociable. 

Nous prenons le matériel du jour, je sers un dernier verre d'eau à Herman qui me promet qu'il se sent bien, puis nous sortons de la boutique, soudain confrontés à la pluie et le vent. Je frissonne et hurle presque pour que Lucy m'entende :

- Tu veux que je te porte pour ne pas que tu t'envoles ?? 

Lucy acquiesce, et une fois dans mes bras elle se cache des intempéries dans mon cou. Je ne m'attendais pas à ce que la tempête soit si importante, alors je me dépêche, suivant les indications de Lucy qui me mène à chez elle. Nous tournons dans des rues que je connais très bien, puisque c'est le même chemin que j'emprunte pour rentrer chez moi. 

- C'est ici !! crie elle. 

- Là ? 

- La maison aux volets bleus ! 

Je reste muet un moment, forcé de constater que je connais très bien cet maison. C'est celle voisine à celle de mes parents. 

Deux bouts de carton et une ficelle ➳ 𝔉𝔢𝔩𝔦𝔵Tahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon