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Le vent est si fort aujourd'hui, que j'ai presque hésité à aller voir Lucy. 

Nous avons passé la journée en famille, assis dans les gros canapés de nos parents, face à un feu de cheminée apaisant, des tasses de chocolats chauds en main, des fous rires dans l'air. Olivia nous a raconté comment se passent ses études sans omettre les potins les plus croustillants, tandis que Rachael s'est vu forcée de nous parler du fameux Ethan pendant des heures (ce qui n'a pas semblé lui déplaire). C'est comme si nous ne nous étions jamais quittés, et à la fois nous avions tant de choses à rattraper. 

Mais j'ai fais une promesse à une enfant que je me dois d'honorer. Je ne suis pas très loin à pied de l'antiquaire, alors j'assure à ma famille de vite revenir quand vient l'heure du rendez-vous. 

- Rentre à temps pour manger, sourit ma mère. 

- Je suis plus un adolescent maman, plaisantais je. 

- Peut-être mais j'ai fais des burgers. 

- Je rentre vite ! 

J'entends son rire lorsque je ferme la porte derrière moi, le cœur léger. 

Les mains dans les poches pour les protéger du froid, je presse le pas, soucieux d'être à l'heure, ne m'attardant pas sur le vendeur de chocolats ambulant. Je ne veux pas rater Lucy, je m'en voudrais trop. Et puis, étonnamment, je suis déjà un peu attachée à cette petite et à sa manière si unique de voir le monde avec ses grands yeux noirs emplis de secrets. 

Quelques rues plus loin, je passe devant la boulangerie et sourit en constatant la présence du manteau beige le plus reconnaissable de la ville devant la vitrine voisine. Je trottine vers elle :

- Bonjour Lucy. 

Je lui souris chaleureusement et elle hoche la tête en me voyant :

- Tu n'es pas un menteur, dit-elle. 

- Non, en effet. 

- Tu reviens demain aussi ? demande-t-elle en jouant nerveusement avec ses doigts. 

- Tu le voudrais ?

- Hum, oui. 

Un petit silence s'installe, silence pendant lequel nous regardons tous les deux l'affreuse marionnette et des yeux dessinés au stylo. 

- Tu veux entrer ? proposais je alors spontanément. 

Elle lève de nouveau les yeux vers moi, l'ai sincèrement étonné. 

- Tu veux bien ? 

- Oui, tu sembles en avoir envie. Et il fait froid. 

Et soudain je vois d'autres Soleils dans le regard de la fillette. Ce sont des milliers d'étoiles qui s'illuminent et qui me fixent, réchauffant mon être tout entier. Cet enfant est tout bonnement lumineuse. 

Nous poussons la petite porte qui tinte à notre entrée, et Lucy entre devant moi. Son regard balaie toute la pièce empli d'un bazar organisé qui semble la captiver. Des bibelots, des étagères dans tous les sens, la boutique ressemble à un labyrinthe de découvertes. Il est tout simplement impossible de décrire les objets qui y sont à vendre. Curieuse de tout, je sens l'envie de Lucy de  courir partout pour tout voir, mais je vois qu'elle se retient, cachée timidement derrière moi. 

- Bonjour !

Lucy sursaute et s'agrippe à mon bras, alors que je croise le regard amusé d'un vieux monsieur quelque peu camouflé derrière une pile de vieux livres, à niveau de la caisse. 

- Bonjour monsieur !

- Je peux vous renseigner ?

- Peut-être bien. La marionnette dans la vitrine est-elle à vendre ? 

Je sens la prise de Lucy sur mon bras de renforcer, mais elle ne dit rien, impressionnée par l'homme qui s'avance doucement, aidé de sa canne en riant :

- Bob ? Non, je l'aime trop. Mais je peux vous vendre de quoi vous fabriquer le votre ! C'est pour la petite j'imagine ?

Il se baisse légèrement vers Lucy qui ne bouge pas et lui fais un clin d'œil :

- Tu verras, une fois que tu l'auras fabriqué, ce sera ton meilleur ami. Tu veux ? 

Elle hoche la tête, toujours légèrement cachée derrière moi. 

- Venez, je vais vous montrer ce dont vous avez besoin, sourit l'homme.

Le propriétaire est légèrement courbé par le poids des années, les yeux fatigués cachés par d'énorme lunette, mais son sourire sincère de recevoir des clients élimine toute les rides de son visage. 

Et guidé par le propriétaire des lieux, nous avançons parmi les étagères en vrac, et le monsieur nous sort une énorme boîte de derrière son comptoir, comme si il s'apprêtait à nous révéler un grand secret. 

- Tenez, il y a tout ce qui vous faut là dedans. 

Je jette un œil curieux et sourit face à tout le matériel de bricolage qui semble épater Lucy. Elle ne risque pas de s'ennuyer lors de la construction de sa marionnette géante ! 

- Je peux vous acheter tout ça au compte goutte ? demandais je soudain, prit d'une idée.

- C'est à dire ? 

- Vous me mettez ce carton de côté et je reviens tous les jours jusqu'à Noël pour offrir le matériel à la petite au fur et à mesure. 

- Moi ça me va, accepte le vieil homme. 

Je sens le regard empli de questions de la fillette levé sur moi, tandis que le vendeur pose la boîte sur le côté.

- Pour aujourd'hui, le carton ça vous va ? 

- C'est pour le corps c'est ça ?

- Exactement. Mais libre à toi d'inventer ton propre Bob, sourit le vendeur en s'adressant cette fois à Lucy avec un sourire complice. 

Lorsque nous ressortons de l'antiquaire quelques minutes plus tard, de retour dans le froid hivernal, le carton dans les mains de Lucy, cette dernière prend enfin la parole : 

- Pourquoi tu fais ça ? 

- Ca te permet d'être sûre que je vais revenir tous les jours, dis-je en souriant. 

Elle me regarde un peu sceptique, alors que le vent vient soulever ses petites boucles blondes qui me font craquer.  

Je ne connais cet enfant que depuis trois jours, mais je me sens déjà très proche d'elle. Elle brille mais est si timide que personne ne peut voir le Soleil qui l'anime. Les gens ne sont pas attentifs. Combien de passants ont marché à côté d'elle sans même un regard, sans même se demander la raison de sa présence face à la boutique, tous les jours après l'école ? 

Je ne sais pas ce qu'elle voit en cette affreuse marionnette, mais si c'est si important et plein de sens pour elle, je me dois de me poser la question et de chercher à comprendre. Et en lui offrant l'opportunité de créer son propre pantin, j'ai senti que j'avais mis le doigt sur quelque chose. Comme si la promesse était logique, qu'elle commençait à me faire confiance. Parce qu'il est évident que la confiance de cette petite à été trop souvent brisée. Et moi je dois lui porter de l'espoir. 

- Tu t'appelles comment ? 

- Felix. 

Deux bouts de carton et une ficelle ➳ 𝔉𝔢𝔩𝔦𝔵Where stories live. Discover now