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En arrivant face à Lucy, je constate qu'elle porte les gants que je lui ai offert hier, ce qui me fait instantanément sourire. Quand elle lève son regard sur moi, je distingue ses lèvres qui s'étirent légèrement. Nous sommes contents de nous retrouver et je peux le sentir. Je crois que cette petite m'aime bien et que les jours qui passent nous rapprochent lentement.  Elle est toujours timide et relativement silencieuse, mais je sais qu'elle est contente de me voir en le lisant dans ses yeux. 

Ma mère a raison, cette fillette est un mystère. 

- Je suis contente que tu ne sois pas un menteur, dit-elle alors que nous avançons vers la petite boutique. 

Etonné par ces mots, je reste silencieux un moment, légèrement déstabilisé. 

- Tu connais beaucoup de menteurs ? 

- Certains. 

- Qui ? Tes amis ? 

Elle secoue la tête et je décide de ne pas insister. Quand Lucy voudra me parler, elle le fera. J'ai déjà de la chance qu'elle me parle un peu plus chaque jour, comme une coquille qui se fissure. Je prendrai le temps de la découvrir. 

- Tu n'as pas froid ? 

Le mois est de plus en plus gelé, et je suis inquiet de savoir si le grand manteau beige de Lucy la couvre suffisamment. 

- Non. J'ai des gants. Je les aime beaucoup tu sais. 

- Je le vois bien, souriais je. 

- C'est un beau cadeau. 

- Tu as commandé quoi au Père Noël, demandais je, sautant sur l'occasion de créer une vraie discussion avec la fillette. 

- Le Père Noël n'existe pas, dit-elle. Pourquoi tu me mens Felix ? Je croyais que tu n'étais pas un menteur. 

- Je... 

Un peu déstabilisé, je ne sais pas quoi répondre. A son âge, moi et mes sœurs étions encore bercés par les belles histoires de Noël de nos parents. Jamais nous n'avons considéré cette histoire magique comme un mensonge, même en grandissant. Et aujourd'hui encore, nous aimons à remercier le Père Noël lorsque nos cadeaux sont ouverts. 

- Tu as commandé quoi pour Noël ? rectifiais je. 

- J'ai demandé beaucoup de choses, mais je crois pas que je vais tout avoir. 

- Comme quoi ? 

- Une jolie poupée, mais elle coûte cher. 

- Noël c'est magique, tu t'inquiètes pas du coût. 

- Mes parents me l'ont dit. 

- Ho, je vois... Quoi d'autre ? 

- Et bien, des peluches géantes en forme de baleines. 

- Pourquoi des baleines ? 

- J'adore les baleines. 

- Vraiment ? 

- Oui. C'est un joli animal. Et j'adore le bruit qu'elles font. 

- J'ai entendu dire que le chant des baleines était très apaisant. 

- Oui, acquiesce Lucy. 

Nous continuons d'avancer en silence, mais un silence agréable. Après quelques pas, nous arrivons dans la boutique, mais juste avant de pousser la porte, un passant bouscule légèrement Lucy. Il se retourne et s'excuse immédiatement, mais la fillette reste muette. Quand il s'éloigne, je me penche vers elle :

- Tout va bien, il ne t'a pas fait mal ? 

- Non. 

- Tu es sûre ? Il n'a pas fait exprès et s'est excusé. 

- Je sais, j'ai l'habitude. Je suis si petite que je suis invisible, sourit soudain Lucy. 

- Oui c'est vrai. Tu vas grandir ne t'en fais pas. 

- J'aime bien être petite, comme ça je peux me faufiler partout. Et comme ça je n'ai pas les problèmes des adultes, dit-elle toujours en souriant.

Je pensais que la fillette avait envie d'être grande, mais visiblement j'ai tort. Les enfants ont souvent hâte de grandir, mais pour Lucy ce n'est pas le cas, comme si elle avait déjà conscience de la complexité du monde qui l'entoure et qu'elle refusait de l'affronter frontalement. Pour son âge il est normal de fuir les problèmes, mais ce qui est étonnant, c'est qu'elle en soit consciente.

- Oui je vois. Allez viens, il fait froid et j'ai hâte de rentrer dans la boutique. 

La chaleur accueillante de l'antiquaire est toujours réconfortante après une bourrasque de vent hivernal. Le monsieur qui était assis avec un vieux roman se lève doucement pour nous saluer, commençant déjà à s'habituer à nos visites. Son sourire sincère n'a pas été abimé par les années et la douceur de sa voix est toujours la même malgré les bégayements. Il nous donne le matériel du jour, amusé par la dynamique qui s'est installée entre nous trois.

- Je vous laisse faire un tour, sourit il en voyant le regard curieux de Lucy. 

Il est vrai que nous n'avons jamais prit le temps de parcourir complètement la boutique, alors c'est ce que nous faisons maintenant. Toujours parfaitement silencieuse, Lucy se faufile entre les rayons, passant à côtés des piles de livres, slalomant entre les boîtes pleins de bibelots et de gadgets. Je peine à suivre le parcours de Lucy et sourit en repensant à notre discussion concernant sa petite taille. Il est vrai que je suis désavantagé dans ce petit espace où tout est entassé. Même si je ne suis pas très grand pour un homme, je ne peux pas glisser entre les deux étagères à la suite de la petite fille. 

Elle s'arrête à certains moments, pointant certains objets du doigt pour attirer mon attention sans parler, comme si la présence du vendeur plus loin la rendait muette, mais qu'elle souhaitait tout de même communiquer. Je souris face à un yoyo qui semble passionner Lucy de par son utilité qu'elle doit juger incompréhensible, et je la vois s'arrêter devant un poupée de porcelaine. Elle reste devant quelques longues secondes, et je me demande si elle ressemble à celle qu'elle a demandé pour Noël. Sûrement pas, les jouets des enfants actuels ne ressemblent plus à ceux d'une ancienne époque dont je ne fais moi-même pas parti. Et pourtant, Lucy semble admirer la beauté des traits de la poupée, émerveillée par des choses simples, et je souris face à cette scène que je trouve touchante. Et encore une fois, en cet instant, je perçois le Soleil caché au fond du cœur de Lucy. 

Deux bouts de carton et une ficelle ➳ 𝔉𝔢𝔩𝔦𝔵Donde viven las historias. Descúbrelo ahora