Chapitre 9 : Frère Laurence

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Sidjil n'avait pas dormi cette nuit-là, trop excité à l'idée de se marier, d'avoir rencontré l'amour de sa vie, de le revoir, de vivre vieux avec lui, de mourir ensemble. Il était rentré chez lui en flash, il s'était changé. Il portait un pull fin, large gris qui lui tombait des épaules exposant ses clavicules, un baggy jean déchiré, en partant il vit le soleil levant se réfléchir sur son costume posé par terre. Symbole et souvenir de cette nuit merveilleuse, il eut un petit sourire à lui-même et prit ses clés, dégringola presque de l'escalier tellement il était pressé de demander sa bénédiction à son confesseur, frère Laurence.

Il sauta dans sa voiture et partit à toute vitesse direction l'église. Le vent était chaud, l'air était lourd, annonciateur d'orage et de mauvaise fortune. Il n'en prit pas compte, toujours saoul d'amour, il ignora les signes de Dieu, obsédé par Maxime. Maxime, Maxime, Maxime, Maxime, Maxime, Maxime. Son corps l'appelait, son cerveau le demandait, son prénom était imprégné sur ses lèvres, son visage imprimé dans son esprit, ses lèvres dont il regrettait de s'en être séparer si tôt.

Il eut un frisson d'envie, ce désir ardent ne l'avait pas quitté depuis qu'ils s'étaient dit bonne nuit au domaine des Capulet. Il était là, bien au chaud dans son ventre, manquant de se manifester à tout moment, il le brûlait, comme un poison, ironie. Il se gara devant l'église sachant pertinemment qu'il n'en avait pas le droit, monta les marches quatre à quatre et fonça vers la maison de frère Laurence qui se trouvait dans l'arrière cour de l'église, caché du public.

Frère Laurence était un homme qu'une quarantaine d'années, c'était le confesseur de Sidjil depuis bien des années maintenant, ils étaient presque amis. Laurence était un passionné de plantes, il passait son temps libre dans sa serre à faire de nouvelles expériences, des boutures, enseigner à ses deux fils ou à Sidjil s'il était de passage. Ses fils le connaissaient bien d'ailleurs.

En cette matinée qui annonçait une journée chaude c'est là qu'il était, dans sa serre à enseigner les plantes à ses fils, il était torse nu car la serre était sur le toit de son immeuble. Frère Laurence était un homme de religion particulier, il avait un tatouage de croix qui lui prenait tout le dos, il fumait, il avait des enfants, il était ami avec l'un de ses confesseurs. C'était un homme bon et juste. Il appréciait particulièrement Sidjil, l'ayant presque vu grandir, il était un jeune homme unique. Ils avaient développé une belle relation au fil des années, cependant, ce matin-là, sous la fournaise de sa serre, il ne pensait pas à Sidjil. Il expliquait à ses fils les vertus et vices cachés des plantes.

- Ô puissante et bénéfique est l'action des plantes, des herbes et des pierres quand on connaît leurs qualités. Il se retourna vers ses fils, la passion se lisait dans son regard, il parlait d'une voix douce et assurée. Car il n'est rien de si vil sur cette terre qui n'apporte quelques bienfaits particuliers à ceux qui y vivent. Il se retourna vers sa table de pratique, reprenant son scalpel qu'il avait posé. Et rien n'y excelle, au point que détourné de son véritable usage, il ne finisse par se rebeller, se perdre et trébucher. La vertu elle-même mal employée devient vice, et le vice, bien souvent par l'action peut être racheté. Délicatement il fit une incision ovale sur ce bourgeon, laissant le haut attaché à la plante, et de la manière la plus douce qu'il soit. À l'aide de son scalpel, il poussa la feuille qu'il venait de créer avec son incision, laissant alors couler lentement le fameux poison, que ce bourgeon si beau, si pur renfermait. Sous la jeune écorce de cette fleur fragile, un poison à sa demeure, et un remède y puise sa puissance. Si on la respire, elle stimule l'odorat et toutes les facultés. Il fit alors tomber quelques gouttes dans son ampoule a décanter. Si on l'absorbe, elle éteint tous les sens et le coeur. Puis il actionna la valve et la mixture qu'il avait créée tomba goûte par goûte dans le petit bécher mis à disposition, il montra alors le liquide empoisonné bleuté à ses fils. Ainsi deux despotes en guerre ont établi leur camp dans la plante comme dans l'homme, grâce et l'esprit rebelle. Quand le plus mauvais des deux est prédominant, aussitôt le chancre de la mort dévore la plante que nous sommes. Au moment où il allait poser son poison dans son frigo à disposition pour cette raison, une voix du ciel l'appela. C'était Sidjil penché au dessus du velux ouvert de frère Laurence.

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