Le Village

12 2 0
                                    



Le Village était une sorte de No man's land situé dans les quartiers périphériques de San Francisco. Une communauté à l'origine dérivée des courants hippie, vivant dans des caravanes, au jour le jour, sans préoccupation autre que jouir de leur liberté. Des populations modestes ou au contraire attirées par l'isolement, l'avaient rejoint par la suite, le faisant grossir au fur et à mesure des années.

Le Village était suffisamment loin de la ville pour lui garantir cette liberté qu'il revendiquait. Il régnait ici un climat d'indolence et d'anarchie. La drogue, la musique, la paresse, le sexe, étaient des nourritures spirituelles à part entière, érigées comme un mode de vie. La frontière entre le légal et l'illégal était devenue floue au point de perdre sa signification.

A perte de vue, des barbecues et des réunions privées, plus ou moins discrètes, plus ou moins licites. Trafics et contrebande y trouvaient un creuset favorable, ainsi qu'un anonymat facile.

Vargo rejoignait la caravane du clan Zarkov, en déambulant tranquillement entre les allées du Village, lorsque soudain il s'immobilisa...

L'homme de main était d'origine russe, il en conservait le profil. Grand, maigre, nerveux, le front haut, les sourcils charnus. Seule sa peau dénuée de tatouage le différenciait un peu de sa communauté.

Autour de lui, entre les haies qui séparaient les espaces privés où squattaient tentes, caravanes, mobile home, des individus venus de tous horizons s'activaient, dont une proportion non négligeable se défonçaient en toute liberté. Ce soir là, en outre, un concert dominait le chaos des bruits dispersés produits par chaque quartier, pour tous les fondre dans une même ambiance musicale aux accents de reggae.

C'est vrai que Vargo avait lui-même reniflé plusieurs lignes blanches... Ça expliquait peut-être cette vision extravagante. Là, entre les silhouettes remuantes, il avait cru voir un mort...

Mais l'instant d'après, la vision s'était effacée. Vargo secoua la tête. Des hallucinations, voilà ce que c'était. Des hallucinations.

Il jeta néanmoins un œil vers la table de camping où s'étaient installés les mercenaires de son organisation, pour se rassurer. Cinq de ses hommes, du clan Zarkov, s'étaient liés avec les hommes de main de Carlos, le dealer qui les approvisionnait. Ils jouaient aux cartes ensemble. Une dizaine en tout, mexicains et russes, que peu d'imprudents se seraient avisés de déranger. Ils avaient tous l'air plus roublards et dangereux les uns que les autres.

Vargo habitait au Village. Il y faisait affaire avec les locaux, même s'il avait du mal à supporter les hippies. Carlos faisait le même job, dans son domaine, pour le compte de son propre cartel, Los Roblès.

Généralement, ils mélangeaient affaire et plaisir. Ils faisaient la fiesta jusqu'au matin tout en poursuivant leur business. La nuit, les pontes du clan Zarkov se muraient dans leur villa fortifiée, située en ville. Ils ne sortaient pas, ne rencontraient personne. Si bien que Vargo ne reprenait véritablement son service qu'au matin.

Perturbé malgré tout par sa vision, Vargo se rapprocha de ses comparses.

– Comment s'appelait ce type, déjà ? leur demanda-t-il entre deux lignes et un tour de cartes. Vous savez, celui de l'hôtel... Putain, c'est la Coke, ma mémoire me joue des tours.
– Le type aux lunettes de soleil ? fit un des gars, s'adressant davantage aux autres joueurs qu'à Vargo. Un foutu richard... On le passe à tabac, et tout ce qu'il cherche à faire c'est enfiler ses lunettes. Vous avez déjà vu ça ?
– T'as raison, fit un autre, les riches sont spéciaux.

Milan Lazsco : La Fugue [E3 Quadrilogie du vampire]Where stories live. Discover now