La Disparition

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L'anomalie gravitationnelle formait une sorte de gigantesque cylindre qui disparaissait à la fois dans les nuages et les profondeurs de l'océan. Un spectacle vertigineux même pour des yeux aguerris comme ceux du comité occupant la barque de sauvetage. Salem et ses vampires restaient pétrifiés devant cette vision ; quant à Célia, elle ressentait un mélange d'admiration et de malaise insondables.

Mais soudain, en voyant le cube de béton disparaître derrière le rideau de cette singularité, Célia fut comme prise de folie. Elle bondit hors de l'embarcation et plongea dans les vagues mouvantes. De toutes ses forces, elle se mit à nager vers la Chimère. Elle entendit des cris en arrière, mais ne put pas plus que ne voulut faire demi tour. Une force inexorable la poussait.

Elle atteignit en quelques brasses la paroi translucide de la singularité. A ce moment, un frisson de terreur cosmique la parcourut, comme un formidable cri cherchant à la dissuader d'exécuter cette folie. Mais sa décision était prise : elle s'engouffra dans la zone de quarantaine.


Alors subitement, tout bascula... Célia ne nageait plus dans l'océan, elle se trouvait au milieu de nulle part. Elle était portée par une sorte de fluide, mais ce fluide n'était pas visible, ou palpable, ni même perceptible. Elle flottait dans un grand néant obscur.

L'espace autour d'elle était d'une immensité incommensurable, telle que son esprit ne parvenait à l'appréhender. Et le plus étrange était encore que cet espace infini, jamais ne se dérobait à sa vue, à l'inverse du monde réel, dans lequel ce qui est plus lointain finit par disparaître, s'atténuer. Elle était capable de voir jusqu'au bout de l'infini, très distinctement, le contenu intégral de cette zone chimérique. C'était juste que cette vision était à ce point dérangeante, hors de l'entendement de l'esprit humain, qu'elle ne pouvait la soutenir.

Des épaves, des détritus de plastique, des débris, des rochers, des carcasses d'avions, une capsule spatiale, un sous-marin de la seconde guerre mondiale... des milliers de tonnes de matériaux de toutes les origines possibles, dispersées dans l'espace infini de la chimère. A la fois proches et irrémédiablement lointaines.

Mais rien de vivant à part elle...

Ce dernier point toutefois n'eut pas le temps d'éveiller sa curiosité ni même son inquiétude. Toute son attention se focalisa sur un autre objet flottant, situé non loin de sa position : un gigantesque cube de béton à la dérive dans cet éther impalpable.

C'est cela que Célia était venue chercher. Le cube tournait sur lui-même, lentement, dans le néant. Célia s'en rapprocha, sans avoir à effectuer le moindre geste, comme aurait dû le faire un nageur par exemple. Son désir suffit à provoquer son déplacement.

Elle atteignit le cube de béton flottant avec appréhension, et passé quelques secondes d'hésitation, posa la main sur sa surface rugueuse.

Le cube produisit alors une réaction, lui qui semblait inerte depuis des jours et des jours : soudain, il se mit à vibrer !

Célia décrivit un mouvement de recul. Un instant, le cube enfla, comme s'il était conçu dans une matière extensible. Elle le vit se tendre sous ses yeux. Puis il se rétracta. Et il recommença... tel un coeur en train de battre !

Avec cette particularité que son second battement fut plus fort que le premier ; et le troisième plus fort encore.

Le quatrième fut si intense que Célia prit peur. Elle se propulsa en arrière pour s'en éloigner, regrettant à ce moment d'avoir commis cette folie.

Milan Lazsco : La Fugue [E3 Quadrilogie du vampire]Where stories live. Discover now