Pressentiments

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Une heure venait de sonner à l'horloge de la petite église de la ville d'Eminence.

Le Shérif Fuller pénétra dans l'officine du Docteur Karn, le médecin de campagne de la petite communauté. Il avait garé sa Jeep à distance pour ne pas faire de bruit et s'était muni de son fusil de prédilection. C'est ainsi qu'il faisait chaque fois qu'il jugeait une situation suspecte. Il ne pêchait jamais par excès d'assurance. La prudence guidait chacun de ses gestes.

Les lumières du petit cabinet médical étaient encore allumées. Après être entré, Fuller lança à voix basse un "Docteur ?" qui n'obtint pas de réponse. Il pénétra plus en avant dans l'officine.

Personne ne se trouvait là, l'endroit était tel qu'à l'habitude. Relativement bien rangé, sans qu'aucun indice n'appela à s'inquiéter.

Fuller inspecta les autres pièces du rez de chaussée : la salle d'attente, le cabinet d'auscultation, le bureau jouxtant cet endroit, et même les toilettes. Rien ici non plus. 

En haut, c'étaient les appartements personnels du médecin. En bas, le Dr Karn avait une salle qui lui servait de morgue, le cas échéant. Ils n'avaient pas de funérarium à Eminence. C'est lui qui conservait les morts avant que les autorités compétentes viennent s'en saisir.

Une lumière provenait de là. Fuller descendit les marches sans faire de bruit. Il trouva alors le médecin dans ce sous-sol, penché sur une table qui contenait un cadavre calciné. Arrivé à cet endroit, il frappa la cloison de bois pour s'annoncer.

  – Docteur Karn ? Est-ce que ça va ?

Ce dernier était tellement concentré qu'il se retourna à peine.

  – Ah, Fuller, dit-il en le reconnaissant alors. Je ne vous ai pas entendu entrer. Vous désirez ?

Comme manifestement le médecin allait bien, le shérif lui posa la question qui l'amenait :
  – Je cherche Zack Brannegan, vous savez, le pompier qui vous a amené ce corps à l'officine, ce matin.
  – Vous aussi ? Son capitaine de brigade est passé. Il avait trouvé son portefeuille dans la poubelle devant chez moi...
  – Son téléphone ?
  – C'est ça. Non, je ne l'ai pas vu depuis ce matin. Il est parti sans crier gare, et croyez-moi qu'il a bien fait, sans cela je lui aurai mis une sacrée volée de bois vert.

Fuller fit la grimace.

  – Et pourquoi cela ?
  – Je m'absente trente minutes pour aller acheter une lampe à UV à la droguerie des MacCallister... la mienne est en panne depuis des mois. Et quand je reviens, il a disparu, et m'a laissé ce tas informe que vous voyez devant vous.

Ce que voyait Fuller, le "cadavre" sur lequel le médecin était penché, si encore on pouvait appeler cela un cadavre, n'avait plus vraiment forme humaine. Il s'agissait d'une espèce de couche de poussière éparpillée sur la table d'auscultation. Un espèce de cercle indiquait l'emplacement de sa tête, et deux appendices devaient figurer les bras ; mais le reste ne ressemblait même plus à une silhouette humaine.

  – Comment avez-vous fait pour reconstituer un corps avec ces cendres ? s'enquit Fuller.
  – Quoi ? Mais pas du tout, j'avais un corps !! Calciné, certes, mais ce n'était pas des cendres. Nous avons apporté ce cadavre d'un seul bloc, et certaines parties n'avaient pas été consumées. Son état était miraculeusement préservé, même. C'est pour ça que j'ai voulu vérifier s'il restait des traces biologiques pour faire des prélèvements. 

  – D'accord... et alors ?
  – Alors quand je suis revenu, le corps s'était comme effondré sur lui-même : il est littéralement tombé en poussière pendant mon absence. Je ne sais pas ce que votre pompier lui a fait. Il l'a écrasé avec une masse ?! En tout cas, il savait qu'il avait fait une connerie, vu qu'il s'est bien gardé d'attendre mon retour pour se faire engueuler.

Milan Lazsco : La Fugue [E3 Quadrilogie du vampire]Donde viven las historias. Descúbrelo ahora