La Croisée

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Washington DC

Il était près de minuit lorsque deux hommes au visage très pâle pénétrèrent dans une salle de jeu à l'ambiance électrique. L'endroit était vaste, constitué de plusieurs annexes ramifiées autour d'un espace central, chacune étant elle-même constituée de plusieurs salles, éclairées par de multiples lumières tamisées qui leur conféraient une ambiance propre. 

Les deux hommes entraînaient avec eux une silhouette que l'on devinait féminine, dissimulée par une large veste et une capuche. Leurs cheveux lisses et plaqués, leurs yeux sombres, leur attitude froide et détachée, laissaient difficilement transparaître le statut de cette inconnue : était-elle leur supérieure, leur prisonnière ?

A dire vrai, ici, cela n'avait guère d'importance et ne leur attirait pas d'attention. La salle de jeu était le théâtre d'une activité désordonnée et turbulente, où s'entremêlaient une grande variété de pratiques et de publics. Bruyante, surpeuplée, elle semblait palpiter au rythme d'un coeur enfiévré.


Cet endroit s'appelait "La Croisée", il était situé dans l'ouest de Georgetown, un quartier ancien de la capitale américaine. C'était un complexe privé, indépendant, qui appartenait à un homme d'affaire obscur, à la fois suffisamment réputé pour s'éviter les perquisitions de la police, tout en entretenant des liens étroits avec les organisations mafieuses de la ville.

Un homme suffisamment influent également pour imposer sa loi : il possédait sa propre milice, constituée de vétérans des forces armées américaines, dirigés par des lieutenants aussi respectés que craints que l'on appelait les doges.

En ce lieu se mêlait une population bigarrée. La Croisée était un des rares endroits où pouvaient se côtoyer aussi bien un caïd de la pègre locale qu'une famille industrielle guindée, une star du rock qu'un simple touriste anonyme.

Les armes, la violence, la prostitution, la nudité, la drogue, n'y étaient pas tolérés. La Croisée entendait conserver un statut donnant l'apparence de la dignité et de la légalité. Seuls le jeu, l'alcool et les mondanités étaient de mise. Toutefois, sous couvert de la surveillance des milices et d'une discrétion suffisante, moyennant les liquidités nécessaires, chacun pouvait trouver ce qu'il désirait.


Ce soir là, comme depuis plusieurs mois, la Croisée était surpeuplée. Les plus lucides et les initiés pouvaient reconnaître dans cette affluence une conséquence de la destruction des grottes de Stone-Folk, quelques mois plus tôt. Les survivants, tout comme les habitués de StoneFolk, avaient dû jeter leur dévolu sur d'autres lieux de plaisance, un peu partout sur la côte Est.

Mais pour la plupart des clients de la Croisée, le fait que les salles de jeu attirent, plus qu'auparavant, des membres du peuple de la nuit, restait hors de leur entendement. Tandis que ces derniers, quant à eux, se gardaient bien de sortir de l'anonymat, sachant qu'ils étaient, en plein quartier de Georgetown, beaucoup plus vulnérables que dans les profondeurs de StoneFolk. Ils préféraient l'anonymat de suites privées de l'établissement, confidentielles, à l'exhibition des espaces bondés.


Le jeu battait de son plein dans la Croisée. L'ivresse coulait à flots, dans une ambiance enfumée. Un barman montrait ses tours à un groupe de jeunes gens de bonne famille venus s'encanailler. Une table à l'écart, inaccessible au commun des mortels, voyait s'affronter de gros joueurs de poker autour de cigares et verres de scotch. Deux danseurs aussi peu vêtus qu'il leur était permis, déambulaient entre les rangs, rejoignant régulièrement ce qui leur servait de scène.

Milan Lazsco : La Fugue [E3 Quadrilogie du vampire]Where stories live. Discover now