Les Agents

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Eminence - Missouri

L'agent Murdock s'installa sur une chaise, dans la cuisine de Virginia Madden, chez laquelle il s'était invité en dépit de l'heure tardive. Elle prit place en face de lui, de chaque côté de la table. Les spots au plafond les éclairaient d'une lueur crue, donnant au visage de l'enquêteur fédéral un teint livide, en partie imputable au manque de sommeil des derniers jours. Mais son regard pénétrant remplissait la vétérinaire d'un profond trouble.

  – Vous connaissez le motif de ma visite, déclara-t-il.
  – Eh bien... non... quel est-il ?
  – Je cherche le rescapé.
  – Chez moi ? fit Virginia.
  – A vous de me le dire.

Depuis le début de toute cette histoire, Virginia se posait la question du bien fondé de son action. A plusieurs degrés même : le fait que le rescapé était peut-être un fugitif, coupable de crime, recherché par le FBI, la perturbait. Quoi que pas tant que sa nature effrayante, évidemment. Elle n'était pas certaine d'avoir pris la bonne décision, loin s'en faut : garder cette chose chez elle, l'aider à guérir, n'était-ce pas une pure folie ? Une aberration même ?

Le comportement pacifique du vampire ces derniers jours n'avaient diminué ni ses doutes ni sa peur. Elle continuait de penser qu'il fallait se débarrasser de cette créature dangereuse, quoique sans avoir aucune idée de comment s'y prendre. Plusieurs fois elle avait pensé tout simplement prévenir la police : son père, ou même l'agent Murdock, et en finir avec cette histoire affreuse.

Mais étrangement, à présent que Murdock était devant elle, tous ses doutes s'effaçaient. C'était comme si une intuition lui soufflait de ne rien dire. Elle avait l'impression au fond d'elle que l'agent constituait un plus grand danger encore que la créature. Enfin, pas exactement... elle avait cette impression manichéenne que, dans l'histoire, le vampire pouvait être la proie, et l'agent le prédateur !

Était-ce de la folie ? Toujours est-il que la vétérinaire ne pipa mot au sujet de son pensionnaire, quand bien même une partie d'elle la pressait de le faire.

  – Comment quelqu'un qui n'existe pas pourrait-il se trouver chez moi ? répondit-elle. Vous avez déclaré que c'était un canular...
  – Si c'est un canular, expliquez-moi ce que vous avez vu, dans la ferme ?
  – A vrai dire, mentit Virginia, je ne me rappelle plus très bien ce que j'ai vu. Nous étions en contre-jour avec Ned. Il faisait sombre...
  – Votre premier témoignage citait un homme brûlé.
  – Je ne le nie pas. Mais j'ai pu me tromper. J'ai dû me tromper, puisque c'est un canular !

Le ton légèrement piquant de la jeune femme ne fit pas sourciller l'agent du FBI, juste l'affûter un peu davantage.

  – Qu'est-ce qui a tué ces bœufs, dans la ferme de votre beau-père, et son chien ? demanda-t-il.
  – Je vois qu'un grizzli pour commettre cette boucherie.
  – Un grizzli, c'est votre réponse de vétérinaire.
  – Ce serait quoi d'autre selon vous ?

Mais l'agent ne comptait pas jouer ce jeu de dupe : il sautait d'un sujet à l'autre.

  – Supposons que le rescapé existe. Comment à votre avis pourrait-il échapper aux battues ?
  – Hypothétiquement ? Il se serait enfui dans la forêt...
  – Sans laisser de traces. Impossible, dit Murdock en se reculant sur sa chaise.

Puis il déclara :
  – Évidemment, s'il avait été aidé, ce serait différent...

La vétérinaire ne réagit pas à cette affirmation.

  – Si quelqu'un l'avait emmené à bord de son véhicule, par exemple.

A ce stade, Virginia se félicita d'avoir effacé les traces de boue et de cendres dans son pick-up, ainsi que dans sa cour.

Milan Lazsco : La Fugue [E3 Quadrilogie du vampire]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant