Chapitre 13 : MÈRE NOËL

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24 décembre 2021, 17 : 04

Nous y voilà : le réveillon de Noël.

Aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours adoré cette période de l'année. Décorer le sapin, lire un livre au coin du feu, s'empiffrer de toasts au foie gras, faire des bonhommes de neige - malheureusement plus vraiment d'actualité, merci le réchauffement climatique.

C'était une des rares occasions de se retrouver en famille, mettre de côté les désaccords et les tracas du quotidien le temps d'une soirée pour laisser place à la féérie de Noël. Du moins c'est comme ça que je l'envisageais étant enfant. J'attendais ce moment depuis des mois et j'en savourais chaque précieux instant.

Les cadeaux en devenaient presque secondaires - quoique, l'année où j'ai reçu l'encyclopédie des plantes aromatiques à la place de la paire de rollers que j'avais initialement demandée, j'ai tiré la tronche pendant une bonne partie de la soirée. En même temps quelle idée de penser que j'allais me découvrir une passion pour le romarin et le basilic du haut de mes sept ans...

Mais depuis ce fameux Noël, il y a cinq ans, la tradition a perdu de sa superbe. Maman, comme à son habitude, était en retard. Nous l'attentions depuis déjà deux heures, la dinde commençait à refroidir et pourtant je continuais de me persuader naïvement qu'elle était simplement coincée dans les transports et qu'elle arriverait confuse et chargée de cadeaux d'une minute à l'autre.

Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j'entendis le téléphone de Mamie Thérèse sonner avec au bout du fil la gendarmerie qui la priait de bien vouloir venir chercher sa fille au commissariat car elle avait été arrêtée pour tentative de vol et conduite en état d'ivresse.

Je ne pense que je n'ai jamais eu aussi honte de l'avoir pour mère qu'à ce moment précis. Même quand je m'efforçais de voir le bon en elle, elle finissait par tout gâcher.

Bref, remuer le passé ne le changera pas. Et cette année encore, Noël risque de prendre une tournure inattendue puisque je vais devoir annoncer ma grossesse. Heureusement, ce sera comité réduit : Papa, Dorine, Papi Julio et Marie-Chantale, la voisine.

Je sais, il était initialement convenu que je leur dise en amont pour limiter la casse le jour J. Malheureusement il s'avère que je suis atteinte d'une terrible maladie qui a pour nom procrastination et qui, une nouvelle fois, s'est manifestée. Sans compter la légère angoisse qui y est associée.

Pour arrêter de m'imaginer les scénarios catastrophes dans ma tête, je décide de mettre une playlist de Noël et d'aller me préparer. Pour une fois, j'ai l'appartement pour moi toute seule : Val est partie depuis déjà deux jours car ses parents habitent en Bourgogne, et Paul est allé chercher des huîtres en catastrophe chez le poissonnier parce que, selon ses dires, « un Noël sans huitres, c'est comme une comédie romantique sans Ryan Gosling : ça existe, mais ça ne devrait pas ».

J'esquisse quelques pas de danse sur du Michael Bublé et je me décide à enfiler une petite robe noire avec une paire de bottes plates. D'habitude je fais l'effort de sortir les talons, mais pour cette année j'ai l'excuse de la femme enceinte.

Après un long et sympathique voyage à bord du RER C, me voilà arrivée à bon port, autrement dit la susnommée petite commune de Saint Quentin en Yvelines. Un patrimoine culturel assez restreint mais un art de confection de la baguette de pain que le monde entier nous envie.

J'arrive devant le pas de la porte, et soudain me vient une idée dont je ne saurais dire s'il elle relève du génie ou de la stupidité à son paroxysme. J'appelle Dorine et lui dit :

« Je suis bientôt là. J'ai quelque chose à vous dire alors j'aimerais que, quand je sonne, vous soyez tous là à m'attendre devant la porte ».

Je laisse planer le mystère mais Dorine accepte sans relever l'étrangeté de ma requête. Je vais faire une révélation générale, ce sera moins coûteux et je serai directement débarrassée de ce fardeau.

Ding, dong. Le moment fatidique. La porte d'entrée s'ouvre sur quatre têtes enthousiastes affublés de bonnets rouges et blancs qui s'écrient toutes en chœur :

« Joyeux Noël ! »

Ce à quoi je réponds immédiatement, non sans une touche d'ironie :

« Surprise ! », en pointant du doigt mon bidon tout rond.

Je vois leurs visages se décomposer : les yeux écarquillés, la mâchoire grande ouverte. Papa se tient la tête, vacille et tombe dans les pommes. Génial.

Après une petite frayeur, nous l'allongeons sur le parquet et il reprend peu à peu connaissance. Je le vois regarder mon ventre d'un air ahuri l'air de dire : « Merde, ça n'était pas un cauchemar, je vais être grand-père ».

Tandis que Dorine et Marie-Chantale s'affairent autour de lui, je tente laborieusement d'expliquer ma situation :

« Voilà, comme vous vous en doutez, cela est arrivé par accident. Je l'ai appris il y a seulement un mois et le terme est prévu pour la mi-mars. Je ne savais pas trop comment l'annoncer...mais je ne pensais pas que ça mettrait Papa dans un tel état... »

Dorine, qui semble malgré tout réussir à contenir son étonnement, ajoute :

« Je ne veux pas être indiscrète mais, qui est le père ? »

Aïe, le moment épineux numéro deux.

« Un garçon que j'ai connu l'été dernier...malheureusement ça n'était pas fait pour durer, il faisait son Erasmus à Paris à l'époque mais depuis il est retourné en Argentine, d'où il est originaire »

Bon, j'avoue, il se peut que j'aie trafiqué un peu la réalité pour leur livrer la version édulcorée, presque tragico-romantique ambiance « amour impossible car nous sommes séparés par des milliers de kilomètres, mon cœur saigne ». A ma décharge, je me voyais mal leur expliquer le concept de « plan cul », ça ferait beaucoup pour une seule journée.

Devant leurs mines déconcertées, je devine un mélange de désespoir et de pitié à mon égard. Les larmes me montent aux yeux, je me sens tellement incomprise.


Papi Julio, voyant mon émotion, me prend à part et me dit :

« Ecoute ma poupette, t'en fais pas pour eux. Ils sont un peu surpris, c'est tout. Tu connais ton père, il serait complètement gaga ! »

Je souris à sa remarque un peu naïve. Son optimisme a quelque chose de rassurant.

« Et puis, il n'y a jamais un jour où on se réveille en ayant la révélation qu'on est prêt à être parent. Créer la vie ça reste un mystère sur lequel on n'a pas de contrôle, ça nous tombe dessus et on improvise comme on peut. Et te concernant, je ne me fais aucun souci ! »

Je ne sais pas si c'est réaliste mais ça a le mérite d'être sincère. Je pose ma tête sur son épaule fébrile pour y chercher du réconfort. Ça fonctionne plutôt bien.

Soudain, j'entends dans la cuisine Dorine s'époumoner :

« Mais c'est pas vrai ça ! Je t'avais dit de l'enfourner à la demie et comme d'habitude tu n'en as fait qu'à ta tête, résultat la dinde est brûlée ! Je sers quoi à dîner moi ? Des knacki et des tomates cerises peut-être ? »

J'en déduis que le responsable de cette crise de nerfs n'est autre que mon père. Tout compte fait, il y a bien des choses qui ne changent pas.

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N.A : Alors, votre avis sur la façon dont Sasha a fait sa révélation ? Et les fêtes de Noël, c'est comme ça chez vous aussi ?

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A SUIVRE...(prochain chapitre publié le 25/10)

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