15. Dague

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Un petit peu plus tôt, Em avait rassemblé tout le peu de courage qui lui restait pour tenter de descendre dans l'abri anti-tempête sous la maison. Son cœur battait si fort qu'il n'entendait rien d'autre et il lui semblait que chaque marche était plus difficile à atteindre que la précédente. Arrivé à mi-chemin, il s'arrêta en se cramponnant de toutes ses forces à la rampe, le métal froid et humide contre sa peau moite, et il força sa voix à franchir la barrière de sa gorge nouée.

— Brandon ? Appela-t-il, mais cela sortit comme un couinement effrayé alors il recommença plus fort. Brandon ? T'es là ?

Sa voix semblait absorbée par le silence et il se maudit intérieurement parce que si le téléphone de Brandon s'était retrouvé sous l'étagère, il n'était sûrement pas en état de l'entendre, ni même de lui répondre. Avec l'impression qu'il allait être malade, il essaya de prendre une profonde inspiration pour descendre une marche de plus et il faillit tomber lorsque le téléphone dans sa poche se mit à vibrer. Ni une ni deux, il se détourna de l'obscurité du sous-sol pour remonter l'escalier à toute vitesse et regarder qui essayait d'appeler. En voyant s'afficher le visage souriant de Sal, il s'empressa de décrocher malgré ses mains tremblantes.

— C'est Em ! s'écria-t-il sitôt la communication établie.

La voix de Wes s'éleva presque aussitôt et il devina que Sal devait avoir mis le haut-parleur pour qu'il puisse l'entendre aussi. À toute vitesse, Em essaya d'expliquer comment il s'était retrouvé là, puisant dans le calme de Sal et Wes la force de reprendre son souffle et de recommencer à réfléchir.

— Lucas et Kenny sont dans le coin, l'informa Sal. Sors de là et va les rejoindre, on arrive avec du renfort. Surtout, ne descend pas tout seul là-dedans, okay ?

Il n'en avait pas la moindre intention, mais avant qu'il ne puisse leur promettre qu'il sortait immédiatement, il entendit quelque chose derrière lui et se retourna vers la porte de l'abri, persuadé que quelqu'un l'avait appelé.

— Attends, qu'est-ce que c'est que ce bruit ? Vous l'entendez aussi ? On dirait...

Cela ressemblait à la voix de Brandon et il se rapprocha instinctivement, le téléphone oublié dans sa main alors qu'il tendait l'oreille pour essayer de mieux entendre. Un cri épouvantable résonna soudain tout autour de lui, accompagné d'une bouffée d'air glacial, et le smartphone s'éteignit brusquement, comme vidé de sa batterie. Aussitôt, il voulut sortir le sien, et constata qu'il avait subi le même sort.

— Voilà qui confirme la théorie des fantômes, murmura-t-il d'une voix tremblante.

Prudemment, il recula d'un pas pour s'éloigner dans le but de s'enfuir pour de bon, mais il posa le pied sur le linge mouillé qu'il avait laissé tomber et il trébucha en arrière. Son élan le propulsa sur les fesses, droit dans l'escalier, et il eut à peine le temps de crier avant que sa tête ne heurte une marche et que tout devienne noir.

***

Quand il revint à lui, il avait mal absolument partout. Au travers d'une épouvantable migraine, il prit conscience que sa position n'avait rien de naturel et il eut toute la peine du monde à démêler ses bras et ses jambes pour essayer de s'asseoir. La bonne nouvelle, c'était qu'il n'avait rien de cassé. La mauvaise, c'était qu'il s'était méchamment cogné la tête et avait l'impression que son crâne s'était transformé en cloche. Avec un peu de chance, il n'avait pas de commotion, mais ce n'était pas comme s'il pouvait se permettre de rester là en attendant les secours.

Lentement, il se déplaça pour s'adosser contre le mur en essayant de faire le tour de sa situation. Son téléphone et celui de Brandon n'avaient plus de batterie donc ne servaient à rien. Dans ses poches, il avait deux mouchoirs en papier déjà utilisés, la clef de la maison et celle de sa voiture, et un paquet de chewing-gum entamé. À moins d'être MacGyver, il ne voyait pas comment il allait pouvoir s'en servir pour se tirer de là. Le seul truc vraiment utile en sa possession était le petit porte-clef lumineux attaché à sa clef de voiture, mais il était juste assez puissant pour éclairer une serrure à proximité, pas pour jouer les lampes torches.

— Enfin c'est pas comme si j'avais autre chose, grommela-t-il à voix basse. Voyons comment sortir d'ici...

Péniblement, appuyé de tout son poids contre le mur, il parvint à se mettre debout et fut heureux de ne rien voir, parce qu'il était à peu près certain que tout devait tanguer autour de lui. Au moins, le porte-clef fonctionnait encore, mais sa maigre lueur lui permit de constater qu'il était vraiment dans la merde jusqu'au cou. L'escalier qu'il avait dévalé paraissait interminable et il était curieusement certain que la porte tout en haut était verrouillée. Dans tous les cas, elle s'était refermée puisqu'il ne voyait plus la lumière du jour, et il ne se sentait pas la force de tenter de grimper jusque-là. S'il se basait sur l'appel de Sal, les renforts étaient en chemin et ce n'était qu'une question de minutes avant que quelqu'un ne vienne le chercher. Il pouvait les passer en restant sagement assis au pied de l'escalier, ou alors il pouvait essayer de voir si c'était vraiment Brandon qui l'avait appelé.

Bizarrement, maintenant qu'il était en bas, il avait moins peur. Ou peut-être que le choc qu'il avait reçu à la tête avait endommagé la partie de son cerveau qui était capable de flipper, il n'en savait rien. Dans tous les cas, il n'avait pas particulièrement envie de rester immobile, le cul par terre sur le ciment froid et poussiéreux. Alors à la place, il posa la main sur le mur pour se guider et garder l'équilibre, puis il s'aventura dans le sous-sol pour essayer de comprendre ce qui s'y passait.

— Ça ne ressemble définitivement pas à un abri anti-tempête normal, souffla-t-il. Vraiment pas...

Un long couloir s'étendait devant lui et son estomac se retourna lorsqu'il remarqua des traces sombres sur le sol qui ressemblaient vraiment à du sang. Plus il avançait et plus il sentait une puanteur qu'il avait peur d'identifier, mais il ne pouvait plus vraiment reculer. Quelques portes se dressaient de part et d'autre du couloir, toutes verrouillées, et il s'arrêta devant l'une d'elle pour observer quelque chose d'un peu plus clair sur le sol.

— Des plumes ?!

On aurait dit des plumes de pigeon ou de quelque chose de plus gros, d'une teinte de gris sale, et il se garda bien d'y toucher. Sans doute que ce qui vivait dans ce sous-sol flippant devait se nourrir de pigeons et de rats, comme une sorte de gros chat mutant, ou quoi que ce soit d'autre. Ne tenant pas à y réfléchir plus que nécessaire, Em reprit sa progression, le pouce douloureux à force de maintenir son porte-clef allumé.

Deux portes plus loin, il entendit du bruit, comme des murmures effrayés ou des sanglots, et il se redressa un peu en s'approchant de l'origine des sons. Un faible rai de lumière passait sous le battant et il posa la main sur la poignée en priant de toutes ses forces pour que ce ne soit pas verrouillé ou, pire, un piège. La porte s'ouvrit sans bruit, dévoilant une autre pièce en béton nu où l'odeur de décomposition était plus forte, mélangée à celle de la fumée froide et du sang. Beaucoup de sang. Se préparant mentalement à ce qu'il allait découvrir là-dedans, Em fit un pas à l'intérieur et lâcha son porte clef en découvrant Brandon assis par terre, le visage ensanglanté.

— Em ?! s'exclama ce dernier d'une voix blanche. Qu'est-ce que tu fais là ?!

La maigre lumière de la pièce provenait d'une pauvre bougie presque éteinte posée auprès de lui, ce qui permit à Em de se faire une idée des lieux. Les sanglots qu'il avait entendus provenaient de la silhouette prostrée tout contre Brandon qui essayait visiblement de la réconforter malgré sa propre peur lisible sur son visage.

— En bref, j'ai voulu récupérer mes affaires, j'ai trouvé ton téléphone dans la buanderie et je me suis viandé dans l'escalier en voulant me barrer pour attendre les renforts, expliqua-t-il avec un calme qu'il était loin de ressentir.

Tout en parlant, il s'était avancé vers eux et il sursauta lorsque la porte claqua dans son dos. Il se retourna brusquement et découvrit alors que Brandon et la personne blottie contre lui n'étaient pas les seuls occupants de la pièce. En revanche, ils étaient les seuls encore en vie, parce que les deux autres personnes étaient très, très mortes. Em n'avait même pas besoin de s'approcher pour le constater, les dagues qui saillaient de leur torse étaient une preuve aussi irréfutable que le sang trop sombre qui les recouvrait. Cette fois, il perdit la bataille contre lui-même et eut à peine le temps de se détourner avant de rendre son petit-déjeuner sur le sol sale.

L'AbriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant