L'Abri

14. Château

Resté chez Sal, Wes savoura son petit déjeuner en discutant avec son cousin de la soirée d'Halloween à venir. C'était plaisant de pouvoir manger un bol de céréales sans message menaçant gribouillé sur le mur et après une vraie nuit de sommeil dans les bras d'un garçon qu'il aimait vraiment beaucoup. Et c'était presque plus satisfaisant encore de savoir qu'ils allaient ensuite se rendre tout droit au presbytère chercher des réponses à ce qui leur était arrivé à l'Airbnb.

— À quelle heure est-ce qu'on part ? demanda-t-il.

— Dès que Brand est revenu.

Son absence paraissait normale, du moins jusqu'à ce que Wes remarque que Sal vérifiait de plus en plus souvent son portable, autant que les pendules de la maison. Leur petit déjeuner était fini depuis longtemps, et Brandon n'était toujours pas de retour.

— Qu'est-ce qu'il fait bon sang ? siffla Sal. Ça fait une heure qu'il aurait dû rentrer.

— Essaye de l'appeler ? proposa Wes.

Le fait que Sal paraisse plus inquiet qu'agacé lui donnait l'impression que quelque chose clochait, et encore plus avec le regard bizarre que son cousin lui adressa avant de déverrouiller son portable. Mais il eut beau appeler, et appeler encore, rien à faire.

— Merde !

À ce moment, son téléphone sonna enfin et ils sursautèrent tous les deux alors que Sal jonglait avec l'appareil pour répondre. Mais ce n'était pas Brandon à l'appareil.

— Ouais, Lucas ? Attends... quoi ? Oh putain de bordel de merde, ne restez pas là ! Qu'est-ce que... ? Okay, mais soyez prudents tous les deux.

Il était livide lorsqu'il raccrocha et Wes se sentit pâlir aussi en croisant son regard écarquillé par une peur proche de la terreur.

— Est-ce que tu as moyen de joindre Em ? le pressa Sal. Lucas et Kenny viennent de passer devant votre Airbnb maudit et ils ont vu sa voiture là-bas. Vide.

Les mains soudain vidées de leurs forces, Wes sortit son portable mais s'arrêta presque aussitôt avec désespoir en réalisant qu'il n'avait pas son numéro. La panique l'envahit, étouffante, et il serait tombé si Sal ne l'avait pas poussé vers le canapé.

— Respire. Flipper ne va pas nous aider. Est-ce que tu te souviens du nom de sa boîte ? Y a peut-être moyen de les appeler pour obtenir son numéro de portable. Pendant ce temps, j'essaie de joindre Brandon. Il va bien finir par me répondre.

Ramené à la réalité par la fermeté de sa voix, Wes hocha la tête et commença par chercher l'entreprise d'Em sur internet afin de pouvoir les appeler. Rester calme en attendant que quelqu'un décroche ne fut pas une mince affaire, surtout avec Sal qui tournait en rond, son propre téléphone à l'oreille. Mais enfin, enfin, quelqu'un répondit et Wes eut besoin d'une seconde pour se rappeler ce qu'il devait demander.

— Je cherche à joindre l'un de vos employés, Emory. Non, je n'ai pas son nom de famille. Je pense que ça pourrait être une question de vie ou de mort.

Il eut besoin de faire appel à tout son calme et sa politesse pour faire comprendre à la femme à l'autre bout du fil que sa demande était sérieuse et qu'il était réellement inquiet du sort d'Em, ne voulait pas utiliser son numéro pour de mauvaises raisons, et que cela devenait vraiment urgent. Enfin, elle céda à ses suppliques et lui donna le précieux numéro qu'il s'empressa de noter en la remerciant profusément. Alors qu'il raccrochait, Sal se figea de l'autre côté du salon.

— Brand ? appela-t-il. Bordel, qu'est-ce que... Em ?!

D'un bond, Wes fut à ses côtés alors que Sal mettait l'appel en haut-parleur, laissant la voix affolée d'Em résonner dans le salon.

— Où es-tu ? le pressa Wes. Est-ce que ça va ?

— Je suis retourné à l'Airbnb parce que mes affaires de boulot étaient restées là-bas et j'ai trouvé le téléphone de Brandon au pied de la machine à laver, et la porte de l'abri anti-tempête était ouverte et j'ai voulu descendre mais je suis remonté presque aussitôt et j'ai vu que Sal essayait encore de téléphoner et mon dieu je crois que Brandon est en bas et qu'il n'est pas le seul !

La panique faisait monter sa voix dans les aigu, entrecoupée par sa respiration hachée, et Wes serra les poings pour juguler sa propre peur.

— Lucas et Kenny sont dans le coin, indiqua Sal avec un calme remarquable. Sors de là et va les rejoindre, on arrive avec du renfort. Surtout, ne descend pas tout seul là-dedans, okay ?

— Oui je... Attends, qu'est-ce que c'est que ce bruit ? Vous l'entendez aussi ? On dirait...

Sa voix se fit plus distante, comme s'il s'écartait du téléphone, et la communication fut coupée. Affolé, Sal tenta de rappeler, tandis que Wes composait fébrilement le numéro d'Em, sans succès ni d'un côté ni de l'autre. La nouvelle bordée de jurons qui échappa à son cousin fit remarquer à Wes qu'il ne l'avait jamais entendu jurer autant, mais sa panique était aussi réelle que la sienne.

— Attrape ton manteau, on va au presbytère. Maintenant ! Et j'espère que tu es en état de conduire ta moto, parce que je n'ai pas de voiture.

En cet instant, Wes se sentait capable de conduire jusqu'à la lune si cela pouvait lui permettre de rejoindre Em à temps. En moins de cinq minutes, la maison était fermée et il démarrait la moto, Sal accroché derrière lui pour hurler les indications à son oreille.

Le presbytère n'était heureusement pas très loin, grande bâtisse construite juste à côté de l'église. Plutôt qu'une maison, cela ressemblait à un petit château avec une sorte de tourelle d'angle qui devait abriter un escalier. Sous le soleil, c'était plutôt charmant, mais de nuit ou sous la pluie cela devait ressembler à un manoir hanté digne d'un roman gothique. Dans sa hâte, il fit déraper la moto sur les graviers de l'allée, en espérant que le pasteur ne lui en voudrait pas trop. Et puis la porte s'ouvrit sur un homme que la chemise noire au col romain ne rendait que plus séduisant. Il ressemblait davantage à un mannequin habillé en pasteur qu'à un réel pasteur, mais son beau visage était froissé d'inquiétude.

— Que se passe-t-il ? Que vous est-il arrivé ? Où est Brandon ?

— Probablement dans le maudit sous-sol d'un maudit Airbnb hanté ! répliqua Sal. Avec un ami de mon cousin qui a dû vouloir descendre l'aider !

— Je vois, répondit sérieusement le pasteur. Attendez-moi là, je vais chercher du matériel et je vous emmène là-bas.

Son assurance calme apaisa un peu de la panique qui vrillait les nerfs de Wes et Sal parut se détendre un tout petit peu aussi. Du peu que Wes en savait, le pasteur Armando était un prêtre exorciste, un vrai, et probablement la seule personne à même de les aider sans remettre en doute ce qu'ils disaient. Wes avait confiance en ses capacités à affronter cette foutue baraque, mais craignait plutôt de ne pas arriver à temps pour sauver Em et Brandon s'ils se trouvaient bien dans le sous-sol. Et puis un gros moteur rugit à proximité, juste avant qu'une énorme Camaro orange peinte d'une croix noire ne sorte du garage près de la maison et s'arrête devant eux. Sans hésiter, Sal ouvrit la portière pour grimper à l'arrière, en lui faisant signe de monter devant.

— Ça alors... souffla Wes en s'asseyant. Em va adorer cette voiture...

Cela lui valut un petit sourire du pasteur alors qu'il s'engageait dans la rue en lui demandant de le guider jusqu'à l'Airbnb. Et la brusque poussée d'accélération plaqua Wes dans son siège avec l'assurance qu'ils n'auraient jamais pu aller plus vite pour secourir Em et Brandon.