10. Fortune

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À la soudaine immobilité d'Em à sa gauche, Wes comprit que la question de Brandon l'avait pris au dépourvu. Quelque part, c'était un peu normal, ce n'était pas vraiment le genre de choses que l'on pouvait aborder avec naturel et même après les évènements bizarres et franchement flippants qu'ils avaient vécus ce n'était pas facile de mettre des mots sur la peur qu'ils avaient eue. Ni d'affirmer que tout cela avait une origine surnaturelle ou paranormale. Cependant, Wes savait que son cousin avait vécu des trucs étranges l'année précédente, et il n'avait pas hésité à lui faire part de ses craintes lorsqu'il l'avait appelé pour le prévenir de leur arrivée précipitée. Et à voir la manière dont toute l'attention se focalisa soudain sur eux avec un sérieux mortel, il devina qu'il avait eu raison de ne pas diminuer leurs mésaventures.

— Je ne sais pas si on peut dire que c'est hanté, tempéra-t-il alors qu'Em reprenait lentement une gorgée de son chocolat. Mais il s'est clairement passé des trucs bizarres, et je ne vais pas vous cacher le fait qu'on était terrifiés quand on est partis...

— Enfuis, coupa Em. Tu peux dire qu'on s'est enfuis, parce que c'est la plus pure vérité. Nous avons pris nos cliques et nos claques, et nous avons foutu le camp de cette baraque de malheur.

Son ton plat et factuel tira un petit sourire à Wes parce qu'Em ne mâchait pas ses mots mais c'était plutôt agréable de l'entendre reconnaître ce qui leur était arrivé sans chercher à trouver des explications rationnelles. Face à eux, Sal échangea un bref regard avec Lucas dont le sourire avait disparu, et Brandon hocha imperceptiblement la tête.

— Je ne vous connais pas encore mais vous n'avez pas l'air du genre à avoir peur d'un rien, dit-il. Vous pouvez nous raconter ce qui vous est arrivé ?

Son ton sérieux n'était pas celui d'un curieux avide d'histoires effrayantes, mais plutôt celle d'un pompier qui vous demandait comment votre maison avait pris feu. Alors, après avoir interrogé Em du regard, Wes prit la parole.

— J'ai loué la maison sur Airbnb jusqu'au sept, et je suis arrivé jeudi. Je n'ai rien remarqué de bizarre, j'ai juste super mal dormi.

— Mal dormi comment ? releva Brandon.

— Des cauchemars épouvantables dont je n'ai gardé aucun souvenir, mais ce n'est pas vraiment surprenant avec la fatigue du voyage, les dernières semaines éprouvantes et le fait de dormir dans un endroit inconnu.

Cela ne parut pas le convaincre et il fronça les sourcils alors que Wes continuait ses explications en se demandant s'il y avait réellement quelque chose qui clochait avec ses cauchemars.

— Vendredi je suis venu vous voir, et j'ai fait un tour en ville avant de rentrer. Je ne sais pas trop pourquoi je n'avais pas envie de retourner tout de suite à la maison, et j'ai eu toutes les peines du monde à m'endormir pour faire à nouveau des cauchemars qui m'ont réveillé vers deux heures du matin. J'étais en train de me préparer une tisane quand Em a débarqué, épuisé et trempé, avec exactement le même mail de réservation que moi.

— Je venais de me taper toute la route depuis Kansas City, expliqua ce dernier en prenant la suite du récit. Wes a été vraiment sympa de me laisser rentrer à une heure pareille et quand on a essayé de joindre le proprio de la maison hier, impossible d'avoir qui que ce soit.

Avec des phrases précises, visiblement habitué à faire des rapports concis, il résuma leur samedi avec les choses qu'ils avaient vues sur la route, leur soirée film et la nuit effrayante qu'ils avaient passée. Puis, sa voix tremblant un peu, il passa à leur matinée jusqu'à leur fuite hors de la maison.

— Qu'est-ce que c'est encore que ce bordel ? marmonna Lucas. Me dites pas que ça va recommencer comme l'année dernière...

— Je crois que c'est différent, objecta calmement Sal. Qu'est-ce que tu en penses Brand ?

— Ça ne ressemble ni à ce que vous avez fait au crématorium abandonné, ni à ce qui s'est passé au camp scout. Wes, est-ce que tu me permets de tenter un peu d'hypnose pour essayer de savoir de quoi tu as rêvé ? Ces cauchemars n'ont pas l'air... naturel.

Pour être honnête, Wes n'avait pas la moindre envie de se retrouver plongé dans la terreur sans nom qui l'avait réveillé à chaque fois en hurlant ou en pleurant, mais si c'était le seul moyen de comprendre ce qui clochait avec la maison alors ouais, il voulait bien essayer.

— Euh, intervint Em, si ça peut aider je l'ai entendu crier et supplier qu'on le laisse sortir, comme s'il était enfermé quelque part...

Un frisson glacé secoua Wes à ces mots, effleurant un souvenir enfoui, et il aurait pu pleurer de sentir soudain la main d'Em sur son poignet, chaude d'avoir tenu sa tasse et solide comme une ancre. L'expression de Brandon devenait de plus en plus préoccupée et les parents de Sal se levèrent soudain en annonçant qu'ils allaient préparer une nouvelle tournée de chocolat chaud.

— Je te promets de faire en sorte que ce soit rapide, assura Brandon. Mais savoir où était piégé ton esprit pourrait nous en dire beaucoup sur ce qui vous est arrivé. Et je peux peut-être faire en sorte que tu ne refasses plus ces cauchemars.

Sur son poignet, Wes sentit la main d'Em se déplacer et il bougea la sienne pour pouvoir l'attraper et s'y cramponner, vraiment reconnaissant de ce soutien muet. Puis il donna son accord d'un léger signe de tête et Brandon se pencha vers lui, ses yeux soudain bizarrement lumineux comme s'ils étaient enflammés. Wes se sentit tomber en avant et se retrouva pris au piège de la sensation désormais familière de ces horribles cauchemars. Mais elle était atténuée, comme s'il regardait un film plutôt que de le vivre vraiment. Et tout était confus et flou, les contours d'une pièce en béton nu, un corps trop immobile sur le sol sale, le désespoir et la terreur, et par-dessus tout la supplique désespérée de pouvoir s'échapper, s'enfuir.

Puis Brandon cligna des yeux et Wes se redressa sur sa chaise avec une profonde inspiration, ramené à la réalité. Même s'il la serrait de toutes ses forces, Em ne lâcha pas sa main et lui laissa le temps de se reprendre.

— Est-ce que c'est un cauchemar qui fait ça ? demanda Lucas.

— Je ne sais pas, répondit honnêtement Brandon. J'ai bien peur que tout cela ne dépasse de loin mes connaissances. Le mieux que nous puissions faire, c'est d'aller trouver le pasteur demain pour lui demander son avis. Lui saura sûrement quoi faire. En attendant, je pense pouvoir vous promettre que vous êtes en sécurité ici et que tu ne feras pas de cauchemar cette nuit, Wes.

La calme certitude de cette promesse était rassurante, tout autant que la tasse de chocolat chaud que sa tante déposa devant lui en revenant de la cuisine. À son grand regret, Em finit par lâcher sa main, mais au moins le sujet effrayant de la maison et de ses cauchemars fut mis de côté, remplacé par cette histoire de citrouilles.

— C'est une compétition, expliqua très sérieusement Lucas. La citrouille la plus stylée, la plus effrayante ou la plus marrante sera récompensée.

— Nous allons toutes les placer sous le porche, ajouta Sal en souriant. Ce sera une partie de la déco pour la soirée d'Halloween. Le prix de la citrouille gagnante sera une véritable fortune, réglée en pièces de chocolat. J'imagine que ça te rappelle des souvenirs, Wes ?

Cela avait effectivement été la monnaie du fabuleux trésor pirate qu'ils avaient constitué pour leur grand jeu de l'été dernier chez leurs arrière-grands-parents et, même s'il n'avait pas fait partie de l'équipage vainqueur, Wes avait tout de même eu droit à sa part du butin. Il se rappelait aussi que l'une des amies de Sal, la timide et adorable Aline, lui avait confié qu'elle préférait largement chercher un trésor pirate sous le soleil qu'invoquer un démon en pleine nuit. Sur le coup, il n'avait pas compris de quoi elle parlait, mais il commençait à se poser des questions maintenant qu'il avait vu et entendu les échanges entre Sal, Brandon et Lucas.

L'AbriWhere stories live. Discover now