02. Araignées (TW)

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Les mains serrées autour de sa tasse brûlante, Wes faisait de son mieux pour ne pas trop dévisager son invité surprise. La brève colère qu'il avait ressentie en entendant sonner et frapper à la porte à une heure pareille s'était évaporée sitôt qu'il avait posé les yeux sur ce type à l'air effondré, complètement trempé et découragé. Ils étaient très certainement tous les deux victimes d'une arnaque bien rodée sur Airbnb mais il était trop tard pour chercher à trouver une solution, et Em avait visiblement besoin de sommeil. Autant que lui, d'ailleurs, si tant est qu'il parvienne à s'endormir à nouveau sans faire d'horribles cauchemars qui le réveilleraient en sueur.

Appuyé contre le comptoir de la cuisine, Em descendait son infusion sans paraître remarquer sa température, ses cheveux colorés tout humides de pluie. Il faisait bien une tête de moins que lui, ce qui n'était pas très difficile puisque Wes atteignait le mètre quatre-vingt-dix avant même de mettre du gel dans ses cheveux, et il était aussi coloré que Wes était sombre. Dans la lumière jaune de la cuisine, ses boucles mouillées arboraient du violet, du bleu et du rose, peut-être même une pointe de fuchsia et un peu de parme. Des anneaux brillaient à ses oreilles, et il portait un sweat bleu pâle qui disait «I'm SAD, because I'm Secretly A Dragon», sur un simple jean clair. Il ressemblait un peu à un chaton mouillé au premier abord, mais Wes était prêt à parier qu'il était plutôt du genre tigre que chat domestique. Après tout, il avait conduit dix heures d'affilée, dont les dernières sous la pluie battante, et il venait d'accepter de passer la nuit dans une maison inconnue, où logeait déjà un étranger à l'air peu recommandable, et il se contentait de boire sa camomille comme si c'était du lait.

— Tu devrais sûrement prendre une douche, remarqua Wes de peur que le silence devienne embarrassant. Si tu as pris l'eau, tu risques d'attraper froid. Il y a des serviettes propres dans la salle de bain et je n'ai pas vraiment eu le temps de m'étaler. Si tu veux tu peux utiliser mon shampoing, il est adapté aux cheveux colorés.

Il s'arrêta avant de commencer à parler à tort et à travers, ce qui lui valut un regard plus chaleureux des yeux bleus fatigués face à lui. Em ne paraissait pas avoir peur de lui, ni même être mal à l'aise en sa présence, ce qui était un peu réconfortant. D'habitude, la plupart des gens se méfiaient soit de sa taille, soit de son look, mais Em avait l'air seulement fatigué et blasé. Wes avait l'impression qu'il était franchement plus courageux et fort mentalement que lui ne le serait jamais.

— Merci, sourit justement Em. Ne t'inquiète pas pour moi, j'ai tout ce qu'il faut dans ma valise vu que je reste à Birdtown pour dix jours. Mais c'est gentil. Et encore une fois, désolé de débarquer à une heure pareille.

— J'étais pas censé être là, rétorqua-t-il en haussant les épaules. Fais comme chez toi, t'occupe pas de moi je vais sûrement retourner me coucher et essayer de dormir.

Pour être honnête, la maison le mettait mal à l'aise, sans qu'il parvienne à déterminer pourquoi exactement. La présence de quelqu'un d'autre, quelqu'un avec qui parler et une présence amicale à défaut d'être familière, était bizarrement rassurante. Il avait bon espoir de parvenir à dormir quelques heures en sachant qu'il n'était plus tout seul dans la maison.

Il était en train de laver les deux tasses lorsqu'il vit revenir Em, pieds nus et en t-shirt, visiblement arrêté à mi-chemin de ses préparatifs pour la douche.

— Hum, tu saurais où je peux trouver un genre d'enveloppe ou de papier ? demanda-t-il en ouvrant les placards à la recherche d'un verre. Il y a deux recluses brunes dans la baignoire et je n'ai pas la foi de prendre ma douche à côté d'elles.

Le fait qu'il cherche à sortir les araignées plutôt qu'à les noyer ou les écraser fit sourire Wes tout en renforçant sa certitude qu'Em était un mec bien, et vraiment courageux.

— T'embête pas, je vais m'en occuper, assura-t-il. Passe-moi le verre.

À grands pas, il gagna la salle de bain avec les deux recluses prises au piège de la baignoire. Avec le verre, il les récupéra une par une sans s'effrayer de leurs mouvements un peu paniqués, veillant simplement à ce qu'elles ne cherchent pas à le mordre.

— Je suis incapable de faire ça, avoua Em avec une admiration audible dans la voix. Je fais le malin avec un verre et une enveloppe, mais je te promets que je hurle comme tout le monde si elles me tombent dessus.

— Ouais, je peux comprendre ça, sourit-il en ouvrant la fenêtre pour secouer doucement le verre à l'extérieur et libérer les araignées. Moi je n'en ai jamais eu peur, mais je comprends que les gens ne les aiment pas. C'est déjà très bien de ne pas chercher à les écraser à tout prix.

— C'est pas de leur faute si elles se retrouvent coincées dans la baignoire, répondit Em en haussant les épaules. Par contre euh... si j'en avais trouvé une dans la douche en étant à poil et mouillé, ouais là j'aurais hurlé et ensuite essayé de la noyer.

Avec un petit rire, Wes recula pour sortir de la salle de bain, bizarrement réconforté par l'humour décomplexé de son colocataire involontaire.

— Tu n'as qu'à m'appeler si tu en trouves une autre. Je vais me coucher, mais tu peux toujours frapper à la porte ou crier, j'entendrai. Et euh... le bruit de la douche me gêne pas, j'ai le sommeil plutôt lourd quand j'arrive à bien dormir. Pareil pour la chasse d'eau d'ailleurs.

— Bonne nuit alors, dit Em en hochant la tête. Et merci pour les araignées. Et aussi pour m'avoir laissé rentrer et rester ce soir.

— C'est normal, j'allais pas te laisser dormir dans ta voiture avec un temps pareil. Bonne nuit.

Il eut droit à un dernier sourire avant que la porte de la salle de bain ne se referme, et la maison parut moins oppressante avec le bruit de quelqu'un qui s'affairait dans la pièce. Le rai de lumière sous la porte était aussi rassurant que le son de l'eau qui coulait dans la douche, et c'est avec un soupir soulagé qu'il regagna son lit en espérant réussir à s'endormir sans trop de mal. Les draps sentaient un peu le renfermé, ce qui lui donnait envie de faire une lessive, mais ce n'était pas insupportable non plus. Vaguement, il eut conscience qu'Em fredonnait une mélodie familière dont il ne se rappelait pas le titre, puis plus rien.

L'AbriWhere stories live. Discover now