09. Rebondir

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Au beau milieu de la nuit, quand ses draps avaient été arrachés du lit sans aucune raison apparente, Em avait cru avoir la peur de sa vie. Mais c'était bien avant de découvrir ces mots barbouillés sur le mur dans cette sauce qui ressemblait tellement à du sang, et avant d'entendre la voix de Wes avec une telle terreur à peine muselée. Il se sentait au bord de la panique et il fourra ses mains dans ses poches pour ne pas les voir trembler alors qu'il remontait le couloir en courant pour aller chercher sa valise dans sa chambre.

Dans la précipitation, il manqua percuter Wes en ressortant et il rebondit contre le mur avec un grognement de douleur. Son colocataire d'infortune le rattrapa avec un regard inquiet pour s'assurer qu'il n'était pas blessé et Em ne réfléchit pas avant de saisir sa main pour l'entraîner avec lui hors de cette foutue baraque hantée. Ils jaillirent par la porte comme des chauve-souris effrayées hors d'une cave et Em ouvrit à la volée le coffre de sa voiture pour y jeter sa valise.

— Je prends la tienne, va chercher ta bécane ! Je ne pars pas d'ici tant que tu n'es pas en selle et sur la route devant moi.

Par prudence, il accompagna Wes jusqu'à la porte du garage, prêt à toute éventualité alors que son compagnon attachait son casque et démarrait sa moto. L'un comme l'autre, ils évitaient soigneusement de regarder les deux autres portes ouvertes, celle de l'abri autant que celle de la cuisine, et Em crut qu'il allait fondre de soulagement lorsqu'il put enfin claquer la porte du garage contre le sol et sauter en voiture.

— Suis-moi ! cria Wes par-dessus le ronronnement de son moteur. On va vers le centre-ville !

Leur affolement aurait été tout à fait à sa place face à l'approche d'une tornade, mais paraissait complètement exagéré dans la lumière éblouissante du soleil. Pour autant, Em serra les dents en accélérant comme s'il était au départ d'un circuit et non dans une banlieue poussiéreuse au fin fond du Kansas. Les yeux rivés sur la silhouette sombre de Wes dont le cache-poussière faisait comme une cape, il s'éloigna de la maison aussi vite que possible et ne se détendit qu'une fois vraiment hors de vue.

Wes le guida vers la partie plus animée de la ville, qui donnait moins l'impression d'un dortoir désert, et tourna dans une rue entièrement décorée pour Halloween. Il y avait des fantômes et des squelettes, agencés avec un soin qui trahissait la coordination de tous les voisins, et Em eut soudain hâte de voir ce que ça donnerait une fois la nuit tombée et toutes les lumières allumées. Ralentissant, Wes s'arrêta devant une maison entretenue avec soin et démonta gracieusement avant de lui faire signe de se garer juste derrière lui au long du trottoir. Un peu distrait par la manière dont son casque révéla son visage, Em se secoua et s'empressa de s'exécuter avant de couper le moteur et de relâcher lentement sa respiration.

Au même moment, un garçon qui ne devait pas avoir plus de dix-huit ans sortit de la maison, le visage marqué par l'inquiétude. Il avait la peau d'un marron chaud qui s'accordait très bien aux teintes automnales qui décoraient sa maison, et il portait un sweat bordeaux aux couleurs du lycée de Birdtown qui renforçait cette impression cosy.

— Est-ce que vous allez bien ? demanda-t-il immédiatement. Vous n'avez pas été blessés ?

Em n'avait aucune idée de ce que Wes avait bien pu dire à son cousin, mais celui-ci prenait visiblement très au sérieux ce qui leur était arrivé. Quelque part, c'était rassurant de voir que la peur qu'ils avaient eue n'était pas minimisée. Décrispant ses mains du volant, il descendit de voiture pour les rejoindre et fut agréablement surpris d'être reçu comme s'il faisait lui aussi partie de la famille.

— Em, c'est ça ? Moi c'est Sal, le cousin de Wes. Tu es le bienvenu chez nous tout autant que lui, en attendant qu'on trouve une solution à ce qui vous est arrivé. Venez, venez, entrez !

Il les entraîna à sa suite et Em offrit un sourire à Wes lorsque celui-ci tendit le bras pour l'inviter à entrer le premier. La maison était incroyablement réconfortante, comme celles que l'on voyait dans les films, un vrai foyer meublé de photos de vacances, de souvenirs de voyages, et de toutes ces petites choses qui trahissaient la présence d'une famille aimante et heureuse.

— Vous pouvez poser vos affaires au pied de l'escalier, indiqua Sal. On réfléchira plus tard à comment on va vous installer pour la nuit. Venez, tout le monde est dans le salon.

Si Em se sentait un peu embarrassé de s'incruster comme ça chez des gens avec qui il n'avait aucun véritable lien, cet embarras disparut dans la chaleur de l'accueil qu'il reçut en entrant dans la pièce. Quatre personnes étaient installées autour de la grande table recouverte d'une toile cirée, occupées à vider des citrouilles. À leur arrivée, la seule femme présente se leva en essuyant tant bien que mal ses mains orange sur son tablier déjà taché. Elle embrassa Wes sur la joue puis offrit à Em un sourire qui lui rappela sa propre mère.

— Je suis Carrie, se présenta-t-elle. Sal nous a dit que vous aviez eu des problèmes avec votre Airbnb, on va s'arranger pour vous faire de la place. Est-ce que vous voulez boire quelque chose ? Si ça vous dit, on a toute cette pile de citrouilles à préparer pour Halloween et deux paires de mains supplémentaires seront les bienvenues.

En un rien de temps, Em se retrouva assis en bout de table, entre Wes et Corey — le père de Sal — une tasse de chocolat chaud à la cannelle devant lui. La peur qu'il avait eue dans la cuisine s'estompait, paraissant irréelle face au cocon chaleureux de cette maison, et il se détendit enfin alors que Sal leur présentait les deux dernières personnes présentes.

— Lucas est mon meilleur ami, dit-il en l'indiquant de son couteau plein de citrouille.

Le garçon en question ressemblait au lycéen américain typique, presque caricatural dans le genre petite brute, de ceux dont Em avait appris très tôt à se méfier. À ceci près que son sourire espiègle était accentué par une trace de chocolat sur sa joue et qu'il avait l'air aussi soucieux à leur égard que le reste de la tablée.

— Merci de venir nous donner un coup de main, plaisanta-t-il. La compétition de la meilleure citrouille n'en sera que plus difficile !

Em apprécia qu'il ne verbalise ni l'inquiétude, ni la curiosité générales, et Sal se contenta de sourire avant de désigner le garçon assis à côté de lui. Ce mec était bien aussi grand que Wes, avec la peau vraiment sombre et des yeux brun si chaleureux qu'ils en étaient presque dorés. Il avait les cheveux très longs, colorés dans toutes les nuances qui allaient du rouge au jaune, et nattés en une multitude de petites tresses qui reposaient sur son épaule. Il était à couper le souffle et Em se retrouva à lui rendre son sourire sans s'en rendre compte.

— Et Brandon est mon petit ami depuis plus d'un an, conclut Sal avec un clin d'œil.

Le naturel avec lequel il pouvait l'affirmer renforçait l'impression chaleureuse de la famille et Em savoura sa première gorgée de chocolat chaud avant de lancer un regard reconnaissant à Wes. Rien ne l'avait obligé à l'emmener avec lui dans sa famille, et pourtant il l'avait fait sans poser de question. À présent, il était bien entouré, avec une citrouille devant lui, et il oubliait sa peur. Du moins, jusqu'à ce que Brandon ouvre la bouche.

— Sal nous a dit que votre Airbnb était hanté. Que s'est-il passé ?

L'AbriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant