Chapitre 48

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Soixante, soixante-un, soixante-deux, soixante-trois...

À chaque souffle, ses muscles se tendent. De plus en plus rapide, il continue ses pompes jusqu'à cent cinquante avant de faire une pause. À peine essoufflé, Yassen se relève avec prudence et s'étire en massant son bras gauche. Il fait nuit et la maison est endormie. Il s'hydrate avec de l'eau minérale et repose la bouteille sur son lit encore tiré. Sa chambre, bien que spacieuse et très bien aménagée par sa mère, lui semble bien trop grande pour une personne. Elle est épurée et chic, tout ce qu'il sait qu'il n'est pas. La chaleur qui règne en ce lieu ne réchauffe pas son cœur froid et son esprit tourmenté. Tracassé par quelques petits soucis, il n'arrive pas à trouver le sommeil.

Il se rapproche de la fenêtre et l'ouvre pour faire entrer de l'air frais. La lune qui éclaire son torse nu perlé de sueurs, révèle aussi une petite cicatrice sur le côté gauche de son estomac bien dessiné. Aujourd'hui elle semble moins imposante, mais il se souvient qu'elle a été bien plus que cela lorsqu'il l'a reçu il y a des années. Il glisse son doigt sur la marque et se ressasse tout ce qu'il a traversé jusqu'ici. Une image interfère et le fait frémir, celle de Jona plaqué au sol, en dessous de lui, la mine farouche et les yeux emplis de haine. Celle d'un homme déçu et blessé, qui demande des réponses. Il crispe la mâchoire et repense à ses mots envers lui.

- Je ne te dois rien.

Le train a quitté la gare, plus personne ne peut faire marche arrière. Il se demande s'il n'aurait pas dû trouver autre chose à dire. Sa tête lui dit clairement que c'était la seule solution, mais son cœur... Ce foutu cœur...

Il rage au fond de lui, il est terriblement en colère. En colère contre lui, en colère contre ce qu'il est obligé de faire pour avoir l'esprit tranquille ! Sa rage dessine de vilaines veines sur son corps marqué par des souffrances invisibles. Des douleurs qui ne peuvent parler, qui ne peuvent s'expliquer, qui doivent rester silencieuses.

Yassen réfléchit.

Il réfléchit sérieusement.

Et il n'aime pas ça.

Il se retourne vers son tapis et se remet en position. Il va faire des pompes jusqu'à épuisement, puis va s'endormir sur place. Demain ça ira mieux, il a juste besoin d'arrêter de réfléchir.

Il est en vacances, et rien, ni personne, ne pourra le détourner de son seul objectif : Se rapprocher de ses enfants.

Rien n'y pourra.

Même pas les larmes de Jonathan.

Au levé du jour, prêt pour le petit déjeuner, il termine de se raser et tapote de la lotion quand quelqu'un frappe à sa porte à plusieurs reprises sans s'arrêter. Curieux, il déverrouille en pensant que c'est sa mère, mais Yaly déboule dans sa chambre en petit slip, tout en rigolant, sa grand-mère à ses trousses.

- Yaly Rawy, arrête de courir !

Il s'enferme dans le placard de son père en éclatant de rire. Sandrine souffle d'épuisement, son petit-fils est une flèche. Elle reprend son souffle en prenant place sur le lit bien dressé de son fils.

- Il va me donner une crise cardiaque, râle-t-elle. Comment tu fais pour qu'il s'habille tous les matins ? Depuis que je lui ai donné son bain, il court dans toute la maison ! C'est un chien ou un garçon ?

Yassen rigole en lui faisant une bise à la joue.

- N'est-ce pas à toi que j'expliquais hier matin qu'il veut s'habiller tout seul ? C'est pour cela qu'il ne te laisse pas le toucher.

Il va vers le placard et frappe deux fois en ordonnant doucement à son Yaly de venir s'excuser auprès de sa grand-mère.

- Tu vas me gronder, papa ? demande-t-il d'une voix inquiète.

Feutre vertWhere stories live. Discover now