Enquête au Far-West

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La bourgade n'était ni accueillante, ni sympathique. Elle se trouvait nichée au creux d'un canyon ocre aux nuances rouge flamboyant, strié de gypse blanc, dans un méandre d'un fleuve antédiluvien. Les parois de cette vallée encaissée, mouchetées d'oxyde de manganèse et de fer, avaient été sculptées par l'humain des siècles auparavant, et formaient les devantures ouvragées de la poignée de maisons et commerces décrépits de la petite cité. Cela donnait un petit air de temple antique maudit, doublé d'un décor défraîchi de cinéma de genre à ce petit hameau au caractère insolite.

Devant eux se déroulait l'unique rue faite de roches finement concassées et damées, d'une belle couleur brun-rouge. Dans d'autres circonstances, et s'ils avaient eu le matériel sous la main, elle aurait été parfaite pour disputer un match de tennis sur terre battue. Lucy et Blythe auraient été ravies de pouvoir taper un peu la balle, pour reprendre l'expression consa­crée, puisqu'elles n'avaient pas eu le temps de le faire à la base militaire. Mais pour l'instant, notre groupe d'aventuriers avait une mission beaucoup plus essentielle à accomplir.

— Alors, comment est-ce qu'on procède ? On forme à nouveau deux groupes, l'un où je serais tout seul d'un côté, et l'autre avec vous tous ? demanda Tito d'un ton sarcastique et désabusé à ses compagnons.

Il avait encore au travers de la gorge la blague douteuse que Regina lui avait faite lors de l'exploration de la base. Sully, qui ne releva pas cette attaque à peine voilée, lui répondit par la négative. Le village semblait vraiment minuscule, inutile de se séparer.

La chaussée était déserte. Une poignée de branchages, lointains souvenirs d'arbris­seaux à épines, aidés par le vent, avaient formé une sorte de pelote barbelée ; celle-ci traversa mollement la rue devant nos aventuriers, à la première bourrasque. Plus loin, deux matous se bagarraient le contenu alléchant d'une poubelle, toutes griffes dehors. Leurs feulements stridents fendaient le calme du village. Quelques bâtisses quelconques se succédaient, plus tristes, élimées et poussiéreuses les unes que les autres. Il ne manquait plus qu'un vieux gars édenté et à chapeau de cow-boy crache dans un pot et joue de l'harmonica, calé dans un rocking-chair sur le perron de l'une de ces baraques.

D'un côté de la chaussée, quelques maisons alternaient avec une poignée de com­merces. Une délicieuse odeur de pain chaud se dégageait d'une petite boulangerie. Plus loin, on apercevait une étroite boutique de bouquins d'occasion, et un bazar dont les devantures tâchaient d'attirer l'œil du trop rare badaud, à grands renforts d'éclairages audacieusement multicolores. Ensuite, il y avait une mercerie dont la vendeuse, qu'on apercevait à travers la vitrine, avait également l'air d'être d'occasion. Pour finir, on apercevait au bout du hameau une apothicairerie sans âge, dont le rideau était baissé.

Toutes les tentatives de ces quelques échoppes pour capter l'attention du chaland perdu étaient de toute évidence un échec cuisant. D'ailleurs, à l'instar de la mercerie, tout le petit bourg avait l'air de seconde, voire de troisième main.

De l'autre côté de la rue, s'élevait un édifice monumental aux allures de sanctuaire re­ligieux tout droit sorti de l'Antiquité grecque. Sa façade et ses colonnes en pierres, surmontées d'une corniche et d'un tympan du pur style corinthien, étaient d'une richesse et d'une sophistication aussi ostensibles que superfétatoires, compte tenu de l'aspect misérable du village. Son aspect finement ouvragé mettait d'autant plus en lumière la pauvreté et l'apparence miteuse des bâtisses alentour.

La déprime gagna instantanément les compagnons à la seule vue de ce triste patelin isolé de tout, dont la vie semblait être suspendue depuis bien longtemps. Comme si on était tombé dans une faille spatio-temporelle, le village paraissait endormi depuis des années, comme hanté.

— Eh bien, pas gai ce bled..., observa Tito.

— Merci, « cap'taine évidence »..., cingla le mage noir. Si tu continues à pérorer comme ça, tu vas faire baisser le quotient intellectuel de tout le village !

— En tout cas, c'est le moins que l'on puisse dire, ça n'est pas engageant. On se croirait dans un mauvais western d'épouvante..., enchaîna Lucy qui réprima un frisson.

Une porte claqua tout à coup, le vent siffla dans les corniches du temple en si majeur. Les chats, en pleine bagarre pour des restes de poisson farci, firent tomber une poubelle dans un grand fracas métallique.

— Miam, ça donne envie cette bonne odeur ! Et si on en profitait pour se faire un petit goûter ? proposa Regina sans aucune transition.

Elle reniflait en direction de la boulangerie, et non des poubelles prises d'assaut par les greffiers. Comme personne n'y voyait d'objection, bien au contraire, la jeune femme entra aussitôt dans la boutique. Malgré une vitrine peu soignée, à l'image de la bourgade, le petit commerce était bien achalandé, et elle eut l'embarras du choix : on y trouvait des hallullas, des pains blancs non levés, façonnés en forme de galettes faciles à garnir ; des marraquetas, allongées et à la texture plus aérienne, et diverses sortes de pains et baguettes aux céréales et graines. On y trouvait également des empañadas de belle taille, des palmitos croustillants et des croissants dodus.

***

Vous aussi, vous êtes étonnés par tant de diversité ? Faisons un petit aparté en regar­dons les statistiques : le Chili se trouve dans le tiercé de tête de la consommation mondiale de pain, deuxième derrière la Turquie, avec en moyenne près de 100 kg par personne et par an. Étonnant, non ? Source : CCI Franco Chilena (Chambre de Commerce Française au Chili, mai 2017).

***

Les cinq autres compères poireautaient dans la rue, puisque l'exiguïté de l'échoppe ne permettait en aucun cas qu'ils rentrent tous en même temps, sous peine :

1) de mettre tout sens dessus dessous,

2) d'être expulsés ipso facto et manu militari par l'artisan boulanger ou pire, par son intraitable épouse.

Ils admiraient donc l'étalage en appliquant à la lettre l'expression « faire du lèche-vitrine », le temps que Regina ressorte. Quelques minutes plus tard, une fois la boulangerie dûment dévalisée, celle-ci sortit d'un air semi-triomphal, avec deux beaux sacs en papier gonflés de victuailles, faute d'avoir pu obtenir des indices sur leur quête.

Le groupe prit position sur les marches de marbre de l'imposant temple, de l'autre côté de la rue pour déguster leur collation. Alors qu'ils étaient assis aussi confortablement que possible devant le parvis, chacun prit conscience des courbatures qui le tiraillaient, après ces longues journées à arpenter le désert aux reliefs irréguliers, et au soleil cuisant.

Mais après l'effort, le réconfort. Quels délices, ces viennoiseries ! Croustillantes, encore tièdes, cela ragaillardit le groupe. Les gourdes, dont une énorme flasque entreposée dans le sac magique de Sully, furent gracieusement remplies au robinet extérieur de l'une des bâtisses, et une grande lampée d'eau fraîche plus tard, ils décidèrent de commencer leur enquête avant que la nuit ne tombe. Comme ils se trouvaient devant le temple, le plus simple était de commencer par là.

— Bon, eh bien, quand faut y aller... ! fit Urs, dans une tentative timide et surtout lasse pour donner du courage à ses compagnons d'aventure.

— Haut les cœurs ! fanfaronna Tito, toujours sarcastique.

***

Mais étant donné que j'ai autant d'inspiration que Nicolas Cage dans n'importe quel film de ces deux dernières décennies, je vais faire une petite pause. Allez, un petit matcha chocolat pour la dame ! Voiiiilà, ça va mieux !

Les tribulations d'Euphrosine - Une aventure dont vous êtes un peu le héros !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant