Hygge, feng Shui et botanique

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Euphrosine ouvrit avec difficulté un œil, puis l'autre. Elle voyait trouble et souffrait d'un affreux mal de crâne, comme au lendemain d'une cuite, mais cette comparaison lui aurait à coup sûr totalement échappé. C'était le matin, à en juger par la luminosité de la pièce dans laquelle elle se trouvait allongée. La brebis tenta de se lever car elle avait très envie de faire pipi, sa vessie ne comportant pas de double fond. Un fort vertige l'envahit et elle fut soudain prise de nausées. Elle n'insista donc pas et se rallongea un moment.

Quand la pièce eut enfin terminé de tourner autour d'elle selon une orbite qui n'obéissait à priori à aucune loi connue de la physique, et qu'elle eut retrouvé tous ses esprits, de nombreuses questions assaillirent Euphrosine. Où était-elle, quand était-on, et que lui était-il arrivé, mais surtout, qu'est-ce qu'on mangeait, et où se trouvaient les toilettes, car elle avait quelques besoins primaires à soulager en vitesse... !

La pièce, une chambre à coucher minimaliste aux murs beige, à moins que ce soit un blanc cassé ou encore coquille d'œuf clair, était presque dénuée de meubles. Mis à part le lit, seul un tabouret identique à celui de la boutique et une toute petite table basse de la même collection – à moins que ça ne soit un autre tabouret – venaient agrémenter la pièce. Cette chambre dégageait une atmosphère sereine et reposante, dans un style qu'on pourrait décrire comme d'inspiration Hygge et Feng shui.

La porte s'ouvrit doucement, et la tête de l'homme de la boutique de curiosités apparut dans l'entrebâillement. Il fit une grimace que la brebis prit pour un demi-sourire, à moins que ça soit l'inverse, et s'exclama :

— Holà ! Qué tal ? Je vous ai crue morte !

— Holà ! Du coup, on dirait que ça va mieux ! répondit-elle, soulagée.

L'inconnu tenait un verre d'eau fraîche qu'il porta jusqu'à elle, et actionna un bouton invisible au niveau de la tête de lit. Un petit gadget en sortit et se déplia.

— Oh ! J'adore les porte-gobelets ! s'écria Euphrosine, qui se contracta aussitôt à cause d'une douleur vive au bas-ventre qui la surprit.

Elle se concentra un instant sur ce qui s'évertuait à lui transpercer l'abdomen et torturer les entrailles, puis prit quelques grandes respirations.

— Enfin, qu'est-ce qu'il m'arrive ? reprit-elle, une fois que ses douleurs s'étaient calmées. Je me souviens d'être entrée dans votre boutique et avoir senti une odeur assez immonde, puis... plus rien.

L'homme fronça les sourcils et eut l'air encore plus sévère et redoutable, si cela était encore possible, sans doute à cause de cette remarque involontairement désobligeante à propos du magasin, mais la seconde suivante il se détendit et sourit pour de bon.

— Il s'est passé une soirée et une journée presqu'entière depuis votre malaise. Je vous ai soigné moi-même, grâce à différents ingrédients qui proviennent de mon officine.

Euphrosine fit la moue, eut aussitôt un mouvement de recul et l'air dégoûté, en se re­mémorant entre autres les spécimens de grenouilles mutantes, et surtout cette puanteur, désormais gravée dans son cortex orbito-frontal à jamais. Sa mémoire olfactive s'en trouverait sûrement altérée pour toujours. Aucun qualificatif dans le vocabulaire de la brebis ne semblait assez fort pour qualifier son degré.

— Je suis homme-médecine, comme on dit ici, précisa-t-il aussitôt avec un geste apaisant, et je pratique la science des maladies et des remèdes traditionnels depuis une vingtaine d'années. Aucun de mes patients n'est mort par mes soins, à ce jour. Du moins, pas que je sache ! En tout cas personne n'est venu se plaindre, ou n'a intenté d'action en justice contre moi, ajouta-t-il, pensif, comme si cela semblait étonnant, ou devait être rassurant pour Euphrosine. Tout va bien se passer, n'est-ce pas ? conclut-il.

Était-ce une question, ou une affirmation ? Euphrosine lui laissa le bénéfice du doute, et se dit qu'elle allait sûrement savoir de quoi elle souffrait, maintenant, s'il était un authentique médecin. Elle questionna alors l'inconnu, avide de réponses.

— Docteur, je suppose que j'ai attrapé une bonne turista, avec ce mal de panse et ces nausées, n'est-ce pas ?  Et c'est sans doute pour ça que les odeurs de votre magasin m'ont donné envie de vomir... N'est-ce pas ? Je ne me souviens pas avoir eu aussi mal à la panse depuis mon enfance, lorsque j'ai eu une déviation de ma Voie Lactée1. Mon troisième estomac avait fait des plis, et le lait n'arrivait pas à la caillette...

Elle s'interrompit à l'évocation de ce souvenir amer, ce qui lui fit penser soudain à sa mère, restée au village.

Pourvu qu'elle aille bien, j'espère qu'elle ne m'en voudra pas d'être partie sans dire au revoir. Elle doit terriblement s'inquiéter...

La brebis réprima cette vague de spleen en passant du coq à l'âne avec brio.

— Tiens, mais qu'est-ce que vous lisez, un polar ?

L'homme, après avoir rangé distraitement des fioles aux jolies couleurs phosphorescentes et aux contenus stœchiométriques, pointa du doigt la liasse de papiers.

— Ça ? Non, ce sont vos analyses de sang et d'urine. Rien de grave, je vous confirme juste que vous êtes enceinte ! Ça explique votre mal au ventre et votre malaise, lui répondit-il sans détour ni pincettes.

Brusquement, la pauvre brebis tomba inconsciente, comme foudroyée.

Les tribulations d'Euphrosine - Une aventure dont vous êtes un peu le héros !Where stories live. Discover now