À la recherche de la brebis perdue

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Au même moment, au village, les présentations étaient faites et notre petit groupe de recherche pliait maintenant bagage. Tito rangeait son sac et prenait soin de plier ses caleçons, qui étaient d'un blanc si étincelant, presque aveuglant, qu'on les aurait dit tout droit sortis d'une publicité (chut chut, pas de marques) ou avaient été confectionnés par des vers à soie gavés au peroxyde d'hydrogène. Sully, en grand mogul, rangeait sa maigre garde-robe, composée de trois toges ternes et rapiécées dans son sac en bandoulière : il se contentait de peu. Il fit ensuite un rapide inventaire de ses ingrédients et outils les plus utiles, pour un mage de son envergure. Enfin, il ajouta une dizaine d'épais volumes ésotériques dans son bagage. Celui-ci, par un judicieux sort d'expansion astrale, permettait le transport d'une quantité de choses bien supérieure au gabarit extérieur du sac. Ça revenait à avoir sous la main une pièce entière pour ranger tout un tas de choses, sur demande. Parmi ces ouvrages aussi mystérieux et sibyllins qu'ésotériques, on pouvait trouver un essai traitant des astroparticules, un autre s'intitulant « Hérode et Hérodote : l'un radote et l'autre s'érode – essai sur deux personnages n'ayant rien en commun », et divers manuscrits tout à fait abscons que seul un érudit comme le mage noir pouvait être en capacité de décrypter, et surtout d'y trouver un quelconque intérêt.

Lorsqu'ils furent tous prêts, les aventuriers novices partirent dans le désert en direction du soleil couchant, sans se retourner. Certains, le cœur lourd mais vaillant, se demandaient s'ils rentreraient vivants et entiers de ce périple. D'autres misaient plutôt sur l'espérance de vie des adversaires qui auraient le malheur de croiser leur route.

Quelques villageois s'étaient réunis pour admirer le crépuscule et saluer le départ de l'équipe de recherche. En les voyant s'éloigner vers le ponant, certains s'interrogeaient sur les chances de survie du groupe, d'autres réfléchissaient à la probabilité qu'avait la fin du monde d'être annulée.

***

Ils avaient parcouru un petit bout de chemin à travers la rocaille et les touffes d'herbes, lorsque les nouveaux compères décidèrent, tant qu'on y voyait encore assez, de monter un bivouac pour la nuit. Dois-je préciser que cette troupe désordonnée se trouvait à tout juste un kilomètre et demi du village ? Du balcon de sa hutte où se tenait l'Antique Vieille Baderne, il les distinguait très nettement. Le kuraca les observa un moment : les uns semblaient se battre avec la tente au format familial, dont la notice, écrite en tout petit, précisait en plusieurs langues : « montage ultra facile et rapide, spécial campeurs débutants ». Les autres s'agaçaient aussi, avec les quelques bouts de bois et autres combustibles potentiels trouvés dans la pampa, et l'unique boîte d'allumettes dont ils disposaient.

Après un débat houleux sur les différentes techniques pour faire une bonne flambée de manière efficace et rapide, quatre tentatives infructueuses, et être – enfin – parvenu à allumer sans magie un feu de camp digne de ce nom, le groupe allait enfin pouvoir se sustenter avec le délicieux repas préparé par Regina. Elle seule paraissait savoir plus ou moins ce qu'elle faisait pour l'instant, en l'occurrence un bon petit plat qui ravigote – même si la compagnie n'avait pas encore fourni d'efforts surhumains – un bœuf carbonara.

En effet, l'Antique Vieille Baderne possédait une excellente vue, malgré son grand âge. Soit dit en passant, il était tellement âgé qu'aucun des villageois ne l'avait connu autre­ment que vieux, voire très vieux. Et un odorat très fin : le plat mijotait depuis un bon quart d'heure et était presque prêt. Il ne manquait que cinq petites minutes de cuisson et une pincée de sel. Le perfide vieillard pouvait également dire, d'après l'odeur qu'il percevait, qu'Urs venait de se déchausser. Les pieds du géant sentaient fort le roquefort, un comble pour un Suisse. L'Antique Vieille Baderne, qui se frottait les mains calleuses en arborant un air fourbe, rit dans sa moustache qu'il venait juste de faire pousser.

Les tribulations d'Euphrosine - Une aventure dont vous êtes un peu le héros !Where stories live. Discover now