Là où le Diable a perdu son poncho

10 2 11
                                    

Revenons à notre brebis préférée. Euphrosine, Avedis et son fidèle petit compagnon Arsenic venaient de s'échapper de la bourgade maudite, et cheminaient maintenant à bord de leur engin rutilant, accompagnés des deux gallinacés subtilisés sous le nez de la terrible Obdulia.

— Tu voulais de l'aventure, et vivre à fond sans regrets, eh bien te voilà servie ma grande ! Bon, c'est pas l'tout, mais où veux-tu aller ?

— Mis à part aller là où le Diable a perdu son poncho, pas la moindre idée ! Tu ne connaîtrais pas un coin sympa, où on pourrait passer le reste de nos vies tranquilles à siroter des Bloody Mary ?

— Haha, on dirait bien que t'y as pris goût ! Mais attention, c'est à boire avec modération ! Pour ce qui est d'un petit endroit au calme, on a l'embarras du choix. Pour l'instant, on n'a qu'à improviser !

Pensive, Euphrosine se demandait qui pouvait bien être cette dénommée Modération. Pendant ce temps, ils s'éloignaient du satané village en direction du bourg le plus proche. Grâce à l'absence quasi-totale de relief de l'immense plateau rocheux, et de sa végétation basse et touffue qui permettait d'avoir une vue dégagée, on apercevait déjà son clocher.

Toutefois c'est avec une grande surprise qu'ils passèrent devant un panneau « Bienvenido a Huara, la Ciudad de salitre ». En effet, la supposée Huara, qu'ils venaient tout juste de quitter, était en réalité une ancienne petite cité minière, un lieu-dit du nom de Pozo Almonte, rattaché administrativement à la véritable Huara, d'où la méprise.

Le hameau dépeuplé, guère plus petit que la vraie Huara, se composait en grande majorité de bâtiments et baraquements de l'usine Humberstone, qui exploita pendant longtemps les gisements de salpêtre. La petite cité fut désertée par la quasi-totalité de la population au moment de l'effondrement du cours du nitrate de potassium, pendant la Grande Crise, des dizaines d'années auparavant. Ceci expliquait la démographie très faible, et le fait qu'absolument tout était recouvert d'une fine poussière blanchâtre.

Les rares habitants, puis leur progéniture, restés dans ce lieu de pacotille fantomatique, avaient été missionnés par l'Office de tourisme de la région, pour tâcher – en vain, de toute évidence – de développer l'attractivité du bourg à la suite de ce marasme. Ceux-ci se composaient pour partie d'acteurs has-been reconvertis dans l'industrie du voyage organisé, tandis que certains appartenaient à une secte, nos compères en avaient d'ailleurs fait la curieuse expérience. Pour finir, une poignée d'entre eux constituait le noyau d'irréductibles habitants, tous natifs du petit hameau.

— Très bien rédigé, ce panneau explicatif. Je me demande comment j'ai fait pour ne jamais me rendre compte que je vivais depuis des années dans un village totalement artifi­ciel..., soupira-t-il, face à sa crédulité candide, avant de reprendre peu à peu du poil de la bête. Je ne sortais vraiment pas assez ! Voilà ce que ça donne, de travailler tout le temps... Quel naïf je suis... ! pouffa-t-il, en regardant Euphrosine qui affichait un air dubitatif. Bon, cette fois-ci, on s'en va vraiment ! Je quitte ce foutu patelin sans regret ni me retourner, dit-il sur un ton assuré. Je ne sais toujours pas encore où, mais on y va !

Ils traversèrent donc la véritable Huara, qui semblait être bien plus animée que Pozo Almonte, ce qui n'était pas vraiment difficile. Ils passèrent devant une dizaine de petits immeubles et maisons, quelques commerces tels qu'une épicerie, une boulangerie, un bureau de poste, et même un loueur de voitures. En cette fin de journée, des gens déambulaient dans la rue, rentraient chez eux, se rendaient dans les quelques bars ou restaurants de la petite ville. La civilisation moderne se trouvait à deux pas ! Mais nos amis n'eurent pas le loisir d'en profiter. Ils traversèrent le patelin à toute allure.

On the route encore, après un long silence où elle était absorbée par ses pensées, son esprit bercé par les paysages qui défilaient et par les cahots de la route, Euphrosine posa à Avedis cette question qui lui brûlait les lèvres depuis un moment.

Les tribulations d'Euphrosine - Une aventure dont vous êtes un peu le héros !Where stories live. Discover now