Pornographe

CHAPITRE 1 : LENA

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Chapitre 1 : LENA

— Alex, je sais que tu es une vraie pianiste, ne te laisse pas trop distraire !

La jeune femme joue une pièce de Mozart sur un gigantesque piano à queue pendant que son co-acteur lui fait un cunni. Alex essaie de ne pas faire de fausses notes. Ça fait partie de ma façon de fonctionner : je m'inspire des véritables passions des actrices pour construire les vidéos féministes que je réalise. Je travaille dans le milieu de la pornographie et je ne m'en cache pas. Il n'y a aucune honte à ça : 95% des gens regardent de la porno, c'est juste qu'ils ne le disent pas tous.

Je surveille Alex d'un œil expert jusqu'au point culminant de l'orgasme. Je demande au caméraman de bien cadrer son visage.

— Coupez ! je crie. C'est dans la boîte, merci à vous deux.

L'acteur manque de se cogner la tête contre le piano en se relevant.

— Outch !

— Tu es OK ?

— Ça va. C'est la première fois que je me glisse sous un piano pour un tournage ! Comment tu as eu cette idée ?

— Alex étudie le piano classique. Je pense que c'est important de mettre de l'avant les talents des actrices.

Les autres studios de pornographie mainstream se contentaient souvent de scénarios cheaps et alambiqués qui réduisaient la femme à un objet sexuel. Dans mes vidéos, je veux que la femme soit sublimée et qu'elle soit perçue comme autre chose qu'une actrice porno. Alex n'est pas juste une actrice de films pour adultes, elle est aussi une pianiste douée.

— Lena ! j'entends crier. Viens dans mon bureau cinq minutes, tu veux ?

C'est Léa, la patronne de la boîte qui m'appelle. Je m'excuse auprès des deux acteurs en les remerciant une fois de plus pour leur travail d'aujourd'hui et je me dirige vers le bureau du PDG. Léa referme la porte derrière moi. C'est une belle femme qui a environ mon âge. Nous nous sommes rencontrées il y a quelques années en école de cinéma.

— Le tournage d'aujourd'hui s'est passé comment ?

— Bien, je réponds.

— C'était une bonne idée cette affaire de piano. Je pense qu'aucun de nos concurrents n'a fait une scène semblable avant.

Dans ce milieu, c'était un peu la course à qui trouverait le scénario ou le contexte le plus inusité. Les clients étaient toujours plus demandant en termes d'originalité des scènes. Il fallait savoir se diversifier.

— Merci beaucoup. J'ai eu l'idée en rencontrant Alex lors des castings. Quand elle m'a dit qu'elle étudiait le piano classique, j'ai tout de suite pensé qu'on pourrait en faire quelque chose.

— D'ailleurs, parlant de casting.

— Oui ?

— Il y a un nouvel acteur avec lequel j'aimerais que tu travailles. Tu le sais peut-être, mais la boîte rencontre quelques difficultés en ce moment... même si 95% des gens consomment de la pornographie, seulement 3% d'entre eux paient pour leurs contenus et ce nombre tend à diminuer...

C'était le premier problème auquel étaient confrontées les boîtes de production comme la nôtre. Les clients voulaient du contenu pornographique de qualité, mais d'un autre côté, ils refusaient de payer pour l'obtenir. D'année en année, leur budget diminuait.

— Tu sais comme moi que les femmes ne trouvent pas le contenu qu'elles aimeraient regarder sur les sites gratuits, j'argumente. C'est pour ça qu'on a décidé de fonder cette boîte !

— Oui, bien sûr, et je pense toujours que c'est un excellent créneau, mais il nous faut quelque chose pour relancer les ventes et c'est pour ça que j'aimerais que tu tournes avec Lance.

Je m'étouffe.

— Le Lance ?

C'est genre l'acteur de l'heure, celui que tout le monde s'arrache en ce moment. Il est super actif sur les réseaux sociaux et quand il n'est pas en train de tourner des films, il stream des jeux vidéo sur Twitch. C'est sa notoriété sur la plateforme de live qui a contribué à sa popularité comme acteur porno. Tout le monde est devenu curieux de cette autre facette de lui.

— J'ai réussi à négocier un contrat avec lui et ça n'a pas été facile. Quand nos abonnées verront qu'il est à l'affiche de nos prochaines vidéos, ça relancera les ventes et les abonnements.

— À chaque fois que je tombe sur un de ses lives, il me sort par les trous de nez. Il a l'air tellement... imbu de sa personne.

— Peut-être, mais il est très en demande en ce moment. Tu penses être capable de travailler avec lui ?

Je soupire. Il n'y a pas le choix de toute façon. Léa aura le dernier mot. J'ai déjà travaillé avec toutes sortes d'acteurs difficiles, en quoi est-ce que ça peut être pire cette fois ?

— Je ferai de mon mieux.

— Merci beaucoup, Lena. Essaie de réfléchir à quelque chose. Il sera disponible la semaine prochaine.

Je sors de son bureau. Dans le studio, Alex et Benjamin ne sont nulle part en vue. Ils sont déjà rentrés chez eux. Le caméraman aussi est parti. Il ne reste plus que moi et Léa. En poussant un énième soupir, je me dirige vers mon propre bureau et je me mets à éplucher les fiches de casting. De manière assez régulière, le studio tient des auditions et nous rencontrons un nombre assez impressionnant de jeunes femmes et de jeunes hommes qui souhaitent se lancer dans la pornographie. Chaque fois, je leur demande quelles sont leurs motivations et je refuse systématiquement de les faire travailler s'ils ne sont pas assez conscients des enjeux et des discriminations auxquelles ils s'exposent, quand ils sont suffisamment naïfs pour croire qu'ils pourront éternellement le cacher à leur famille ou à leurs amis. Ceux que j'embauche doivent être certains que c'est ce qu'ils veulent faire, car une fois qu'on a tourné dans un film X, il n'y a pas de retour en arrière. J'en sais quelque chose.

Mon œil s'arrête sur le profil d'une certaine Vanessa. Elle est ballerine. Je pense que nous n'avons jamais tourné quelque chose sur le thème de la danse classique encore. Ce sera parfait.

Distraitement, je tape le nom de Lance sur le moteur de recherche de l'ordinateur. Les photos s'affichent. C'est sûr, il est très sexy : un beau brun avec plein de muscles et un sourire ravageur. Ce n'est pas étonnant qu'il soit aussi populaire. Si je n'avais pas déjà une si mauvaise opinion de lui, il pourrait être mon type. Google m'informe qu'il est en live à ce moment même. Je clique par curiosité. Il est en train de jouer à un jeu d'horreur. Plus de dix-mille personnes sont en train de le regarder. Je roule les yeux à chacune de ses réactions exagérées.

« Vous avez vu ça, le tchat ? Regardez-moi la poitrine de ce personnage ! On lui ferait pas mal, hein ! »

Je regarde l'heure dans le coin de l'écran. C'est ce que je pensais : pas même deux minutes ne se sont écoulées depuis que j'ai commencé à regarder le stream et, déjà, il a fait un commentaire misogyne. Il ne fait peut-être ça que pour amuser la galerie, mais je pense que c'est tout de même symptomatique de sa personnalité de mâle alpha toxique. Je connais sa réputation : celle d'un coureur de jupons narcissique. J'espère qu'il ne me donnera pas trop de fil à retordre... tout le monde mérite sa chance après tout.

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